Dr Caroline Ardrey est Maître de conférences en lettres et langues modernes, University of Birmingham (Royaume-Uni), se spécialisant dans les rapports entre la poésie française du dix-neuvième siècle et les autres formes d’art, y compris la musique, la mode, et la culture populaire. En tant que Senior Research Associate du Baudelaire Song Project, elle a développé des systèmes novateurs pour l’analyse numérique des déclamations de la poésie, des chansons et des mélodies. Elle a dirigé le projet Visualising Voice (Europeana, 2016–2017) pour lequel elle a créé un logiciel pour la visualisation des fichiers sonores. Elle prépare une analyse des mises en musique des poèmes de Baudelaire dans la musique populaire française, anglaise, et russe, et elle a publié des articles sur Baudelaire, Holmès, Mallarmé, et Mendès.
Dr Mylène Dubiau est Professeur agrégé à l’université en musique et membre permanent de l’équipe de recherche LLA-CRÉATIS Lettres, Langages et Arts – Création, Recherche, Émergence en Arts, Textes, Images, Spectacles, Université Toulouse II–Jean Jaurès (France). Elle est Co-Directeur du Baudelaire Song Project, et éditeur du troisième volume des mélodies de Debussy pour la nouvelle édition critique sous l’égide des Œuvres complètes de Claude Debussy chez Durand (sous la direction scientifique de Denis Herlin). Spécialiste de l’analyse musicale des mises en musique ou déclamations chantées, elle a publié plusieurs articles sur Verlaine, Debussy, et Déodat de Sévérac.
Prof. Helen Abbott est Professeur d’université en lettres et langues modernes,
University of Birmingham (Royaume-Uni). Spécialiste de la versification et
prosodie françaises, surtout dans le contexte musical, elle est Directeur du
Baudelaire Song Project
2015–2019, subventionné par une bourse majeure du fonds de recherche AHRC
(Royaume-Uni). Le projet vise à répertorier toutes les mises en musique des
poèmes de Baudelaire depuis les années 1860 jusqu’aujourd’hui. Auteur des
articles sur Gautier, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Villiers de l’Isle-Adam,
et Mallarmé, Prof. Abbott a aussi publié trois livres sur la voix et la
This is the source
Un projet de recherche numérique lancé en 2015 vise à répertorier et à analyser toutes les mises en musique des poèmes de Charles Baudelaire, afin d’élargir les connaissances des œuvres musicales dérivées des
paritéentre texte poétique et texte musical. L’article offre d’abord un bref compte rendu de la démarche du
Cet article établit une nouvelle méthodologie numérique pour analyser les paramètres de poésie.
Un projet de recherche numérique lancé en 2015 vise à répertorier et à analyser toutes les mises en musique des poèmes de Charles Baudelaire, afin d’élargir les connaissances des œuvres musicales dérivées des
paritéentre texte poétique et texte musical, ce qui permet de tracer l’évolution des performances chantées des poèmes de Baudelaire. L’histoire des mises en musique de Baudelaire à travers la chanson se déploie en trois temps : (1) de Duparc jusqu’à Debussy ; (2) l’ère de la chanson française (surtout Léo Ferré) ; (3) la musique contemporaine populaire (post-1980). Cette étude présente la méthodologie du
Charles Baudelaire est souvent qualifié de premier poète de la modernité
La poésie de Charles Baudelaire, qui possède un statut canonique dans la
littérature française, a été largement et profondément étudiée par la critique,
notamment par des théoriciens du XXe siècle comme Jean-Paul Sartre ou Claude
Lévi-Strauss et par des critiques contemporains tels Antoine Compagnon ou
Rosemary Lloyd. Cependant, il reste un autre aspect de l’œuvre poétique de
Baudelaire à étudier – celui des lectures personnelles et non littéraires,
abordées par le biais de la chanson. Depuis la composition de
Le lien entre la poésie et la musique dans la littérature et la culture
françaises est souvent abordé du point de vue musicologue, où il s’agit
d’étudier la mise en musique de la poésie ; ce type d’études consiste souvent à
identifier et à analyser des instances où la mélodie correspond au texte ou
contredit celui-ci. Les rapports entre poésie et musique ont également été
examinés dans une perspective littéraire, où il est question de considérer le
chant, la voix et la musique en termes thématiques et poétiques. Rares sont les
études de la mise en chanson de la poésie qui accordent une valeur égale au
texte et à la musique (selon le modèle proposé par Agawu
Cet article propose une nouvelle méthodologie numérique pour l’analyse de la
mise en musique de la poésie baudelairienne qui utilise des fichiers sonores
comme des textes audio
. Le processus d’analyse étudie les nuances
musicales au niveau de la composition, ainsi que les choix interprétatifs du
chanteur/de la chanteuse en mettant l’emphase sur la parité et
l’inextricabilité des deux éléments de la chanson, c’est-à-dire le texte et la
musique. Quoique la chanson soit une entité indivisible, le
soudain des clartés qui dissipèrent complètement l’obscurité
La recherche, conduite sous l’égide du
La collecte des données consiste à établir une base de données relationnelle dans laquelle nous enregistrons les détails de toutes les mises en musique connues des poèmes de Baudelaire. Dans cette base de données, il existe une entrée pour chaque poème des
Le projet recense d’abord les poèmes principaux de l’œuvre de Baudelaire : à cette étape du projet, la base de données contient des détails sur 211 poèmes, dont 160 en vers et 51 en prose. Après 12 mois de travail, le décompte provisoire de mises en musiques de Baudelaire, en français ou en traduction, en est à environ mille chansons.
Pour trouver les mises en musique des poèmes, le projet convoque plusieurs outils. La première étape a été de consulter la base de données du Centre International de la Mélodie Française, qui répertorie plus de 23000 mélodies et chansons françaises avec des détails sur les paroliers et les poètes. La CIMF a donc fourni des détails fondamentaux en rapport avec les mises en musique de la poésie de Baudelaire dans la mélodie française, en ouvrant du coup la voie à une recherche plus vaste utilisant WorldCat et le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que des catalogues d’autres bibliothèques et patrimoines nationaux. À part les ressources bibliothécaires numériques, nous avons aussi consulté plusieurs ressources sur Internet, comme, par exemple, YouTube, iTunes, Soundcloud et Bandcamp, afin de répertorier les enregistrements des chansons sous forme de disque ou de MP3.
Dans les débuts du projet, le travail consistait à rechercher des partitions
et des disques en utilisant le mot clé Baudelaire
(ou sa
translitération – c’est-à-dire Бодле́р, Bodler, 보들레르), mais après cette
première vague de recherches, nous avons commencé à utiliser des mots clés
des titres de poèmes, d’abord en français, puis en anglais et dans d’autres
langues (surtout l’allemand et le russe qui apparaissent le plus souvent
dans notre base de données). Il faut préciser à ce point qu’il existe
d’autres poèmes, par exemple certains des poèmes inédits ou posthumes qui
n’apparaissent pas dans la base de données du Baudelaire Song Project, car
ces poèmes ne sont pas assez bien connus pour être mis en musique. Même pour
des poèmes soi-disant peu connus, nous avons pris des mesures pour ne pas
les exclure du corpus du projet. Le processus de répertorier toutes les
chansons reprenant les vers de Baudelaire a permis de tirer quelques
conclusions préliminaires concernant les poèmes les plus fréquemment mis en
musique, ainsi que de donner un premier aperçu des genres musicaux
influencés par les textes du poète.
La base de données répertorie toutes les mises en musique des poèmes de
Baudelaire selon certains critères : notamment le niveau de
professionnalisme de la composition ou de l’enregistrement. Sans vouloir
juger la qualité des chansons ou exclure le travail des amateurs, le projet
considère seulement :
En réalité ces paramètres incluent la plupart de mises en musique de Baudelaire, sauf une petite minorité, par exemple des auteurs-compositeurs amateurs qui se filment chez eux.
Dans la base de données du projet, il existe une entrée pour chaque chanson,
liée à l’entrée du poème sur lequel elle est basée. L’entrée pour les
chansons contient les champs suivants :
Chacun de ces champs contient ses propres sous-champs, donc pour
personne concernée
nous enregistrons des détails concernant la
nationalité du compositeur/de l’interprète, afin de mieux comprendre la
portée de l’œuvre de Baudelaire dans la musique d’autres pays que la France
et de pouvoir analyser comment son œuvre poétique a été reçue dans d’autres
langues que le français. À une autre étape du projet, nous avons aussi
ajouté un champ pour le genre
; quoique parfois approximatif, il
est utile de préciser au moins un genre musical (mélodie, chanson,
hard-rock, metal, death metal, electro, rap, techno, etc.), pour avoir une
idée des genres musicaux influencés par la poésie de Baudelaire et pour
comprendre quels poèmes sont particulièrement populaires auprès des
musiciens de tel ou tel genre.
La catégorisation des chansons selon un genre musical permet de grouper les
données pour en faire l’analyse et la comparaison. De cette façon, la
collecte des données et les conclusions qu’on peut en tirer renvoient au
concept de lecture à distance
proposé par
Franco Moretti, du Stanford Literary Lab
Après avoir recueilli un ensemble de données sur les poèmes de Baudelaire et
les chansons qui leur correspondent, nous procédons à l’annotation numérique
des chansons, d’après les fichiers audio. Étant donné le grand nombre de
chansons basées sur des textes de Baudelaire et la difficulté d’appliquer le
processus d’analyse à
L’annotation des chansons est réalisée en utilisant
Le système de balisage effectué dans
Pour mieux voir comment baliser un fichier sonore, les couches d’annotation sont numérisées de 1 à 10, les trois premières couches d’analyse étant automatiquement générées par
L’analyse commence avec un fichier sonore (format MP3 ou WAV) de la chanson
en question, chargé dans Sonic Visualiser. Puis nous
créons les couches d’annotation ; il est, peut-être, plus facile de créer
toutes les couches à la fois au début. Pour mieux voir les éléments
individuels de l’analyse, nous accordons une couleur différente à chaque
couche, que l’on applique de manière cohérente à toutes les analyses
numériques. La forme d’onde peut être considérée comme une chronologie de la
chanson, où chaque élément textuel, structurel ou musical est balisé et
horodaté en secondes. Là où il y a plusieurs barres de différentes couleurs,
nous concluons qu’il s’agit d’un moment important de la chanson et qu’il
faut l’analyser de manière plus détaillée. Par exemple, dans la capture
d’écran ci-dessous des vers 10 et 11 de
Les sections qui suivent expliquent la logique qui sous-tend chacune de ces couches, ainsi que le système de balisage de chacun des éléments.
Une fois les données balisées dans Sonic Visualiser, nous pouvons les exporter en forme de CSV pour les utiliser et manipuler.
Les données exportées de
Les couches 4 et 5 concernent le contenu linguistique de la chanson, balisant la position temporelle du début et de la fin de chaque mot et de chaque syllabe. Nous balisons également le début de chaque période de pause, de façon à ce que le début des mots et des syllabes de chaque poème soient numérotés ; cette numérotation correspond à un schéma XML, établi avec l’aide des spécialistes en humanités numériques au
Dans le contexte du projet, nous avons travaillé avec un développeur de logiciels pour créer une application Web qui établit un schéma de tagging automatique en XML pour créer des balises pour les mots et les syllabes d’un seul coup. L’application reconnaît les espaces ( ) et les tirets (-) comme la fin d’un mot et d’un syllabe, quoiqu’il faille baliser les divisions entre syllabes avec un astérisque (*) quand elles se présentent au milieu d’un mot. Nous pouvons choisir de voir seulement le schéma pour les mots, ou aussi celui des syllabes. Plus tard dans le projet, ce système d’XML servira à étudier les différents mots et donc, les différents thèmes que les compositeurs et les chanteurs mettent en valeur dans les mises en musique des poésies de Baudelaire.
L’un des aspects importants du projet est d’observer des tendances dans
l’interprétation de la poésie du XIXe siècle au niveau de la versification. Notre
système de balisage est dérivé du système établi par la TEI, mais ce
dernier est abrégé dans notre projet afin de mettre l’emphase sur les
unités sémantiques et les unités structurelles essentielles de la
versification française, c’est-à-dire les mots et les syllabes. Le
balisage des syllabes permet de voir à quel point la prononciation de
l’interprète est conforme aux règles métriques de la poésie française. Si
l’on prend, par exemple, l’alexandrin, il est clair qu’il doit y avoir
douze syllabes par vers ; cependant, dans la mélodie française surtout,
par exemple dans les compositions de Debussy, une note est souvent
accordée au e
caduc ou apocope, de façon telle qu’une syllabe
soi-disant muette est prononcée. De plus, la distribution syllabique
balisée sur la forme d’ondes permet de voir d’un seul coup d’œil si le
compositeur a déplacé la césure ou s’il a fait d’autres interruptions
structurelles au vers. Considérés de manière isolée, la prononciation du
e
muet ou la position de la césure pourraient paraître
constituer de menus détails ; pourtant, ces différences entre la
prononciation de la poésie lue à l’oral et la poésie chantée sont
révélatrices. En étudiant la prononciation de la poésie dans les
différents genres musicaux, il est possible de se représenter les
tendances dans le traitement de la poésie par les compositeurs et les
chanteurs, ce qui aide ensuite à tracer une histoire plus complète de la
réception de la poésie de Baudelaire. Là où Debussy promeut l’usage de
l’ e
surnuméraire (en tant que syllabe prononcée en fin de
vers avec une note distincte), Léo Ferré préfère une prononciation basée
sur la versification française (où les e
surnuméraires en fin de
vers ne sont pas prononcés), et les chanteurs de musique populaire
contemporaine, tels que Babx, ont plutôt tendance à ne pas prononcer les
e
muets. Le balisage des mots et des syllabes permet de
générer des données qui peuvent être entrées dans une feuille de calcul
pour compiler le niveau de mélisme ou de tension entre métrique poétique
et métrique musicale. Plus tard, cette feuille de calcul permettra
d’effectuer une comparaison entre les différentes mises en musique des
poésies de Baudelaire pour juger de la fidélité ou de la flexibilité des
chansons par rapport aux règles de la versification française.
L’aperçu que l’analyse des syllabes nous donne sur des questions de mètre et versification va de pair avec une investigation des changements structurels auxquels le texte est soumis quand la poésie est mise en musique. La couche 6 montre donc la distribution des strophes et des vers et signale des changements de structure comme, par exemple, la répétition, l’omission ou l’inversion des vers ou des strophes.
Pour baliser la structure du poème dans le contexte de la chanson, nous inscrivons une barre au début de chaque vers et de chaque strophe. Le début de chaque vers est balisé L1, L2, etc., et le début de strophe est balisé S1, S2. Les balises XML pourraient aussi être générées automatiquement en utilisant l’application Web citée ci-dessus. Dans le cas d’un sonnet, les strophes sont balisées Q1, Q2, T1, T2, pour montrer les quatrains et les tercets. Comme pour les mots (couche 4) et les syllabes (couche 5), le début de chaque période non chantée est balisé R ; de cette façon, il est évident que le début de chaque vers/strophe/pause signifie la fin du précédent. Ce système permet de voir facilement les changements structuraux apportés au texte par le compositeur/interprète dans le processus de mise en musique d’un poème.
La ponctuation du poème (selon l’édition critique de référence de la collection
Pour les chansons pour lesquelles nous avons une partition, nous balisons aussi les nuances et les indications d’interprétation telles qu’elles ont été suggérées par le compositeur. Lues ensemble, la couche 7 et la couche 8 montrent comment le compositeur a interprété la ponctuation et la phraséologie de Baudelaire en musique. Il est possible de faire le balisage pour les enregistrements sans partition (par exemple, les chansons populaires en disque ou MP3), en notant les changements de tempo, de qualité vocale, etc. Quoique subjective, cette approche permet de montrer comment des auteurs-compositeurs divers ont interprété le même poème au niveau musical afin de pouvoir comparer des mises en musique enregistrées aux partitions ; de plus, cette manière d’annoter les dynamiques musicales d’une chanson permet de procéder à la comparaison de plusieurs interprétations de la même chanson.
Cette partie du balisage est au cœur de l’analyse des rapports entre mots et musique ; cependant, elle constitue aussi et nécessairement l’aspect le plus subjectif de l’approche du projet. Le balisage des phrases musicales se fait d’après la partition, s’il y en a, sinon, à l’écoute. Cette approche peut être manipulée selon le corpus et le but de l’analyse : là où il s’agit de comparer deux interprétations de la même composition, nous pourrions mettre l’emphase sur la division des phrases par l’interprète plutôt que de fonder le balisage sur les nuances indiquées. En ce qui concerne le balisage des phrases poétiques, nous considérons les propositions principales et les propositions subordonnées ; ici nous balisons le début et la fin de chacune pour voir la structure grammaticale du poème et pour pouvoir comparer la distribution des phrases musicales avec les unités significatives du poème.
Le balisage des couches d’analyse est important au niveau visuel, car il
permet de voir des passages d’une chanson où il y a beaucoup d’activité
musicale et textuelle – ces points de convergence
méritent plus
d’investigation. Là où il y a plusieurs barres de diverses couches, il
faut considérer le niveau de tension entre paroles et musique, ainsi que
considérer la qualité vocale (en regardant, par exemple, les nuances
indiquées). Cette investigation secondaire pourrait convoquer les outils
des
En plus de la visualisation, les couches 4 à 6 fournissent des données
importantes qui peuvent être entrées dans une feuille de calcul pour
calculer la soi-disant
Cette méthodologie offre une approche détaillée pour l’analyse de la chanson. La base de données intervient dans une première étape, pour trier les données afin de décider quelles chansons doivent être soumises à ce processus. La combinaison du balisage visuel et des données fournies par les analyses XML et quantitatives permet d’effectuer une analyse compréhensive de la mise en musique de la poésie qui ne sépare pas les deux éléments de la chanson, ni ne réduit l’art du poète ou du compositeur à un simple jeu avec les chiffres.
Pour faire la démonstration de ce système d’analyse numérique de la chanson, nous nous pencherons, dans la section suivante, sur les résultats de l’analyse de deux mises en musique du poème
La première chanson qu’on considèrera est la dernière des
Les
Les données de la couche 6 pour
Pourtant, en regardant de près la table ci-dessus, il est clair que les
pauses et les intermèdes musicaux entre les strophes (balisés R
et
soulignés en jaune dans le tableau) ne sont pas de longueur égale, ce qui a
pour effet de changer la manière dont nous comprenons la structure du
sonnet. Entre le premier et le deuxième quatrain, il y a une pause de 1,57 s
et entre le deuxième quatrain et le premier tercet, il y a une pause de 1,75
s. Ceci ne serait pas exceptionnel si ce n’était de la grande pause de 24,4
s qui sépare les deux tercets. Cet écart entre les deux tercets, avec ses
changements dynamiques, paraît comme un deuxième tournant qui bouleverse la
structure binaire du sonnet.
Le balisage montre comment le changement à la jumeaux
. Il est clair
d’après le balisage dans
Le balisage dans
L’analyse de la mise en musique de
adieuxqui termine le vers. La forme d’ondes montre comme la chanteuse soprano effectue un diminuendo afin que ce mot semble s’éteindre et, à partir de ce point-là, la forme d’ondes reste très fine jusqu’à la fin de l’intermède du piano entre le premier et le deuxième tercet, tel que cela se manifeste dans l’annotation dans
Ce long intermède souligne l’atmosphère d’incertitude, grâce à des
changements dynamiques : Debussy insiste sur le diminuendo échelonné du
piano qui semble s’affaiblir, en imitant la voix. La modulation, que l’on
entend clairement (de mi majeur vers do majeur) et qui se produit trois
mesures avant l’entrée de la voix, accentue cette instabilité, mais signale
aussi un coup du sort – le moment promis par l’augure du soir fait de rose et de bleu mystique
. Cet
interlude du piano, qui retarde le dernier tercet, a pour effet de faire
attendre l’arrivée de l’Ange, entrouvrant les
portes
pour ranimer […] les miroirs ternis
et les flammes mortes
. Cette brève analyse de la manière dont
Debussy a
Contrairement aux mélodies classiques de Debussy,
Les mots ont toujours été pour moi vecteurs de musiques, d’espaces, de rythmes, de couleurs, de silences et de voix. [...] Comment réunir la musique et ces mots-là, sans que l’un serve defaire valoirà l’autre ?
Si l’on examine tout d’abord la couche 6 (structure du poème), on voit
surtout dans les passages balisés R
et soulignés en jaune dans le
tableau ci-dessous que, plus que celle de Debussy, la chanson de Babx suit
de manière proche la structure du poème de Baudelaire, respectant chaque fin
de vers et chaque fin de strophe (quatrains et tercets).
Pourtant, les données révèlent que, même si Babx suit la versification
baudelairienne, il répète le premier quatrain du poème après un court
intermède musical de 2,16 s. Cette répétition d’une partie du texte est
importante pour comprendre non seulement la lecture singulière que Babx
propose du poème, mais aussi la perspective alternative sur le poème qui est
proposée à ceux qui écoutent sa chanson. Tel que démontré dans l’analyse de
la mise en musique de Debussy, le poème de Baudelaire se termine sur l’image
d’un Ange qui viendra ranimer […] les miroirs ternis
et les flammes mortes
; quoique optimiste et éthérée, l’image
globale de la dernière strophe est un peu entachée par le dernier vers, avec
les adjectifs ternis
et mortes
qui résonnent dans la
pensée du lecteur. Babx, par contre, insiste plutôt sur la promesse des
cieux plus beaux
, en répétant la deuxième partie du vers 8 à la
fin de la chanson, avant de reprendre le motif de guitare de l’ouverture de
la chanson.
La présence des silences et des intermèdes de guitare est importante pour
comprendre la façon dont Babx aborde la tâche de réunir la musique et ces mots-là
. Il y a un petit intermède
musical à la fin de chaque vers (qui dure entre 0,69 s et 1,12 s) et un
intermède plus étendu à la fin de chaque strophe. On remarque que
l’intermède entre Q1 et Q2 a une durée de 6,67 s alors que l’intermède entre
Q2 et T1 est beaucoup plus long, soit d’une durée de 45,71 s. Ces deux
intermèdes, les plus longs de la chanson, suivent tous les deux un point,
balisé sur la couche 7 ; d’après ces données, on pourrait supposer que Babx
interprète ce point, signe de ponctuation très final, comme l’un de ces
L’emphase que Babx met sur la charnière est claire d’après la forme
d’ondes ; dans la capture d’écran ci-dessous, il y a un changement visible
entre 1,17.1 min et 1,17.5 min (c’est-à-dire entre 77.0 s et 77.5s). En
fait, l’intermède commence avec un motif joué sur la guitare qui, sur le
plan musical, fait partie de la phrase précédente ; à 1,17,25 min., le motif
familier de l’introduction revient, et c’est comme si l’ordre était rétabli,
préparant le terrain pour l’annonce du nouveau cadre temporel du soir fait de roses et de bleu mystique
.
D’après le balisage des mots et des syllabes, on comprend comment Babx joue avec la durée des notes pour préserver la structure du poème de Baudelaire et pour mettre en valeur à la fois le son et le sens du texte.
Il y a très peu de pauses dans les vers : dans la première partie du sonnet,
avant la charnière, il n’y a que de courtes pauses aux vers 3 et 4 et une
pause plus longue au vers 8 ( Dans nos deux esprits,
ces miroirs jumeaux
). Le mot esprit
est sensiblement
allongé, ce qui a pour effet de retarder la césure ; quand, enfin, on arrive
à la césure, cette pause est poignante et crée un effet de syncope. Bien
qu’il ne soit pas possible de bien saisir cette syncope dans le tableau
ci-dessus, les données aident à voir le mécanisme des rapports entre texte
et musique. Il est clair que le dernier vers du deuxième quatrain représente
l’apogée de la chanson, sur le plan poétique et sur le plan musical, et
qu’il anticipe la charnière et l’intermède musical qui suivent.
Quant aux syllabes, on remarque que dans sa chanson, Babx a tendance à
allonger la cinquième et la dixième syllabe du vers, ce qui est important à
double titre. Tout d’abord, cette technique interprétative ramène la
métrique de Baudelaire au premier plan, mais elle souligne certains mots
clés dans le texte, tels profonds
, tombeaux
,
lumières
, jumeaux
. Ces données soutiennent les thèmes
du poème
écloseset
nousqui s’accordent, grâce à l’assonance partielle des voyelles. En soulignant le mot
écloseet en lui donnant une dimension personnelle qui se rapporte à
nous, Babx met l’emphase sur les idées de potentialité et de fécondité qui sont évoquées de manière plus hésitante dans le poème de Baudelaire et qui, dans la mise en musique de Debussy, restent cachées jusqu’aux dernières mesures.
Passant aux tercets, on remarque que, contrairement à Debussy, Babx ne varie pas beaucoup les dynamiques : quoiqu’il y ait de claires ondulations, il n’y a pas de grands pleins et de grands déliés dans la forme d’ondes.
Toute ondulation dans la forme d’onde vient de la technique vocale
particulière que Babx utilise dans la chanson entière, qui consiste à faire
un crescendo et puis un diminuendo pour chaque syllabe accentuée. Après une
brève pause de 2.15 s, la chanson continue avec la répétition du premier
quatrain. Sans aucun intermède, Babx incorpore ces paroles répétées, de
telle façon que la chanson retourne à la case de départ. Malgré son
apparente fidélité à la versification, en entretenant la position de la
charnière, ces paroles
Le
Le processus numérique permettant l’analyse des mises en musique de la poésie,
détaillé dans cet article, pourrait ouvrir la voie à d’autres projets culturels
qui considéreraient les rapports du texte et de la musique dans la chanson,
dans les chansons d’un genre quelconque, ou dans les reprises d’une chanson par
différents interprètes. Si Debussy constate que les musiciens qui ne comprennent rien aux vers ne
devraient pas mettre en musique. Ils ne peuvent que les gâcher
paritédevrait être un principe essentiel de l’étude du lien entre texte et musique dans la chanson. Cette emphase sur la parité des éléments constitutifs de la chanson au niveau de l’analyse révèle, à son tour, que les résultats de l’analyse eux-mêmes ne sont pas fondés sur une interprétation
égaledu texte poétique et du texte musical. La méthodologie numérique détaillée dans cet article permet, par contre, de voir en détails pour la première fois les négociations subtiles entre poésie et musique, à plusieurs échelles et à travers un corpus étendu.
Le projet de recherche présenté dans cet article est financé par une subvention généreuse du Arts and Humanities Research Council du Royaume-Uni (AH/M008940/1). Nous remercions l’organisation AHRC d’avoir permis cette recherche par leur soutien financier et pratique.
This article is based upon the work of The Baudelaire Song Project, a digital research project, launched in 2015, which aims to catalogue and to analyse all the song settings of the poems of Charles Baudelaire. The Project seeks both to increase awareness of the many musical works based on the verse poems collected in
Establishes a new digital methodology for analyzing song settings of poetry.
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This article presents research funded by the Arts and Humanities Research Council (grant ref : AH/M008940/1). We thank the AHRC for making this research possible.
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