Camille Monnier is currently data manager for the
This is the source
Cet article nous fait entrer dans la logique des archives du cinéaste et vidéaste Chris Marker, acquises en 2012 par la Cinémathèque française.
Cet article nous fait entrer dans la logique des archives du cinéaste et vidéaste Chris Marker, acquises en 2012 par la Cinémathèque française.
Chris Marker, né en 1921 et décédé en 2012, a largement exploré les possibilités
artistiques qu’offrait le xxe
siècle en devenant tour à tour écrivain, éditeur, photographe, cinéaste, vidéaste,
développeur d’applications informatiques et créateur d’installations
multimédia.
En 2013, la Cinémathèque française a acquis le fonds Marker, c’est-à-dire quelques
550 cartons représentant l’intégralité ou presque du studio, espace de vie et de
travail de l’artiste. Photographies, affiches, disques, archives papier, éléments
audiovisuels, appareils, disquettes etc. : une variété de supports à l’image de
l’activité plurimédia du producteur ont aujourd’hui rejoint les collections de la
Cinémathèque. Essayiste de l’image et de l’écrit
il s’était vu voyant–, on peut lire dans l’œuvre de Marker cette même démarche qui naît de l’intérieur et débute par une curieuse introspection de son propre regard. Tant et si bien que son cinéma semble parfois reproduire le mouvement même de la pensée :
ses fulgurances associatives et ses finesses tout autant que ses ratés, ses traits de génie comme ses rapprochements gratuits
C’est cette même dynamique du rapprochement qui a envahi le fonds Marker pour s’y
décliner de mille façons. Tout comme le font les films du cinéaste, le fonds
d’archives délinéarise
comme on pense
– ou comme Chris
Marker pense. Précisons d’abord que la bibliothèque même de Marker est un champ
difficile à déterminer (voir figure 1). Toutes
sortes d’objets et de matériaux s’y côtoient et s’y mêlent. Marker avait en
particulier pour usage d’insérer dans ses livres les documents auxquels il les
associait. Les ouvrages de sa bibliothèque sont ainsi
Le projet d’établir une
Dans l’obscurité, avec ses fenêtres éclairées et les
rangées de livres qui luisent doucement, la bibliothèque est un espace
clos, un univers autonome dont les règles prétendent remplacer ou
traduire celles de l’univers informe du dehors.
xixe
siècle. Laissant de côté les controverses classiques de bibliothéconomie (ordre
hiérarchique par sujet ou classement par la dimension des volumes), Warburg
préfère exprimer par l’ordre une vivacité, la pensée de
l’humanité sous tous ses aspects, constants et changeants
(Saxl in
les livres de philosophie y voisinaient avec ceux
d’astrologie, de magie et de folklore, les grands volumes de
reproductions d’œuvres d’art côtoyaient des études sur la littérature et
la religion, tandis que des manuels de linguistiques se trouvaient à côté
d’ouvrages de théologie, de poésie et d’histoire de l’art
La bibliothèque [de Warburg] n’est pas une simple collection
de livres, c’est un catalogue de problèmes. Et ce ne sont pas les
domaines thématiques de la bibliothèque qui ont provoqué en moi cette
impression écrasante, mais plutôt le principe même de son organisation,
un principe beaucoup plus important que la seule étendue des sujets
concernés.
L’existence du collectionneur est régie par une
tension dialectique entre les pôles de l’ordre et du désordre.
Georges Perec énumère une douzaine de façons de classer sa bibliothèque : par
ordre alphabétique, par continent ou pays, par couleurs, par dates
d’acquisition, par dates de publication, par formats, par genres, par époques
littéraires, par langues, en fonction de nos priorités de lecture, en fonction
des reliures, par collections
L’appartement a été découpé en zones par les équipes du service de la
conservation de la Cinémathèque qui ont procédé à un retrait méthodique du
fonds. Un travail de localisation systématique des ouvrages lors de
l’inventaire, l’attribution d’un numéro d’étagère et d’une zone à chaque
élément décrit, a permis les bibliothèques ont horreur du vide
Les livres débordent de l’espace propre de la zone D et se répartissent entre plusieurs endroits : la zone B, située près de la porte d’entrée du studio, rassemble visiblement un certain nombre d’ouvrages grand format et la zone A, soit la chambre. Dans cette dernière, les étagères semblent presque aérées ; les ouvrages sont un peu moins comprimés en comparaison à d’autres zones. On y croise les Jules Verne et les Kipling, mais aussi les poètes amis comme Claude Roy et François Vernet, Walter Benjamin, un certain nombre d’ouvrages en chinois et
L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque.
On retrouve dans cette bibliothèque les engouements de Marker, mais également en creux ses silences : histoire de l’URSS, jamais celle de la Russie tsariste, histoire des mouvements de gauche, et bien peu de choses sur la droite. Par ailleurs, toute bibliothèque se compose d’une part d’ouvrages jamais lus ; ici, le critère de l’usure n’est pas absolu, les ouvrages les plus lus pouvant être les plus soignés comme les plus râpés. Face aux nombreux ouvrages en langues étrangères (russe, anglais, japonais, chinois, espagnol, allemand), on s’interroge : Marker était-il aussi polyglotte que ses étagères le laissent entendre ? Une bibliothèque doit posséder ce côté imprévisible du marché aux puces, pour reprendre l’image d’Umberto Eco : une sorte d’accumulation disparate, dont on ne se rappelle plus très bien tous les trésors cachés et autres curiosités, souhaitant se laisser surprendre par leur (re)découverte. Chez Marker, on entrevoit un certain nombre de livres précieux, reliures en cuir, éditions augmentées, mais également des bibelots en tous genre, des ouvrages surprenants comme
Si une bibliothèque privée paraît synthétiser les intérêts et les inspirations
de son propriétaire, la traduction matérielle de ses voyages et de ses
obsessions, elle constitue également une extension de soi-même dirigée vers les
autres
Quand je suis entré dans son bureau – à l’époque il était passionné de science-fiction – c’étaitStar Wars ! Il y avait des fils partout avec des vaisseaux spatiaux, il portait des pistolets futuristes à la ceinture. Et il avait l’air d’un martien. Je ne m’attendais pas à voir ça au Seuil, qui était une maison tout à fait austère, catholique-scout !
Si objets et livres circulent sur les étagères de la bibliothèque, le livre en lui-même propose un certain nombre de renvois suggérés par les documents insérés, apparaissant comme la forme matérialisée des connexions établies par Marker, et proposant dès lors un nouvel espace de circulation.
Marker a inséré dans ses livres tout au long de sa vie, toutes sortes de documents dont nous pouvons proposer une séparation en deux types. (1) Des documents d’archives inédits : correspondance, dessins, matériaux de travail, etc., éléments de la vie privée et/ou publique de Marker. (2) Des documents tirés d’une reproduction mécanique : articles découpés dans la presse, mais aussi matériaux publicitaires, éléments du monde extérieur s’invitant dans sa bibliothèque.
Intéressons-nous aux lettres et aux cartes postales (notons que la correspondance n’est pas exclusivement rangée dans les ouvrages, mais qu’elle se trouve par ailleurs en vrac dans de larges dossiers ou cartons lui étant consacrés). La base du système est la suivante : Marker rassemble dans un ouvrage les lettres et cartes échangées avec l’auteur dudit ouvrage. On parcourt alors, à travers la bibliothèque, un large univers de sociabilité : de simples connaissances aux amitiés plus profondes. C’est ainsi que les échanges complices avec Florence Delay, expressions d’intimité et d’amitié, viennent se glisser directement au contact de l’œuvre produite par l’auteure. L’objet ressort personnifié, son contenu plus intense. Souvent, Marker va plus loin et reconstitue au sein du livre un environnement dédié à l’auteur. C’est le cas dans l’ouvrage de Pierre Goldman,
, on trouve en miroir un article de presse du quotidienYes, we miss André Bazin
Tu nous manques François. Daté du 24 octobre 1985, cet article commémore la mort de François Truffaut survenue un an auparavant. Le livre se fait ici support de l’association directe établie entre deux figures emblématiques du cinéma : F. Truffaut et A. Bazin.
Les livres, à travers les archives qu’ils contiennent, nous font naviguer dans l’intime, dans le formel, dans le professionnel à travers les documents associés. Dans
qu’elle demeure vivante en nos cœurs. Les associations ne sont jamais systématiques bien qu’on retrouve un certain nombre de traits récurrents. Elles semblent cependant dessiner un univers. Le grave comme le loufoque finissent toujours par s’emmêler : un carton de profiteroles au milieu
n’est autre que la complexité même des faits de culture dont tout son atlas cherche à rendre compte dans la longue durée de l’histoire occidentale
La Cinémathèque a décidé de ne pas communiquer physiquement les éléments de la bibliothèque Marker, l’ensemble ayant été estimé trop fragile. La seule manipulation lors de l’inventaire a effectivement dégradé certains ouvrages. L’idée d’une communication virtualisée, née d’un impératif de préservation, dépasse la seule réalisation d’un catalogage des éléments, dès lors insuffisant car ordinairement dévolu à des fonctions de repérage avant consultation physique. En effet, il s’agit ici de proposer à la fois la recherche et la consultation de l’information en un même support informatique. Avant d’aller plus loin et d’envisager les fonctionnalités de la
bibliothèque virtuellesemble nécessaire. Le dictionnaire
An umbrella term a) for conceptual models of librairies of the future that focus on the provision of services associated almost totally with digital content and b) used to describe those aspects of existing library services that have a significant digital component. Also referred to as electronic library.[Traduction] Bibliothèque numérique : terme générique a) pour des modèles conceptuels de bibliothèques du futur qui se concentrent sur la production de services, associés presque exclusivement à un contenu numérique et ; b) aspects de services d’une bibliothèque existante qui ont une part numérique significative. On parle aussi de bibliothèque électronique.
L’expression Digital library
pourrait se traduire en français par
bibliothèque numérique
, virtuelle
, ou encore
digitale
. En France, l’expression bibliothèque virtuelle
séduit ; en témoignent un certain nombre de projets qui ont vu le jour sous ce
nom. Le projet
feuilletoire(possibilité de tourner les pages). Plus récemment, le projet Biblissima
Dans notre cas, le corpus initial a subi deux coupes successives. Dans un
premier temps, les ouvrages ne contenant pas de documents ont été écartés.
Puis, c’est la possibilité d’inclure une numérisation intégrale des ouvrages
contenant les documents qui a également dû être remise en cause. En effet, pour
des raisons juridiques et budgétaires, seuls les documents insérés feront
l’objet d’une numérisation. Ces derniers devront cependant être numérisés
en contexte
, c’est-à-dire avec la page du livre où a été réalisée
l’insertion, de manière à restituer l’extrait textuel ou iconographique en
contact direct avec l’insert. Ces restrictions successives pourraient jusqu’à
rendre paradoxal l’emploi de la locution bibliothèque virtuelle
pour
désigner l’ensemble. Cependant, c’est bien la dimension matricielle de la
bibliothèque que l’on souhaite mettre en avant, les éléments documentaires se
trouvant réunis au sein d’une entité récurrente et organisatrice : le livre. Si
le terme « virtuel » insiste sur la transition d’une réalité physique à une
réalité numérique qui s’opérerait sur un mode de reconstitution de la réalité
perdue, le projet ne prévoit ni une simulation de la réalité, ni une
reconstitution en images de synthèse tridimensionnelles de la bibliothèque :
uniquement une indexation par étagères, reliée à un plan interactif.
Le projet
Un modèle est une abstraction de la réalité qui est perçue, analysée et épurée, les modèles ne conservant que certaines caractéristiques représentatives, sélectionnées par les concepteurs en fonction des objectifs assignés au projet.
Le système que Marker a construit autour de sa bibliothèque est relativement
complexe car aléatoire. Il existe tellement de modes d’associations différents
qu’il est presque impossible de tous les répertorier avant de se lancer : le
fonds consiste en un immense puzzle qui n’a ni centre, ni début, ni fin. Cette
caractéristique tentaculaire, décentralisée, évoque directement le RDF,
recommandation définie par le consortium du W3C
Le schéma ci-dessous (figure 4) propose de
présenter visuellement les potentialités du graphe. Chaque entité est reliée à
une classe : une famille d’objets à décrire. Le graphe comprend les classes
suivantes : des inserts (documents insérés), des typologies (nature des
documents), des éléments de localisation (liés au plan du studio), des œuvres
(ouvrages, films, etc.), des activités (auteur, réalisateur, éditeur, etc.),
des personnes, des concepts (vocabulaire descriptif). Des liens peuvent être
réalisés entre les instances de ces classes, afin de relier les éléments de
description. Par exemple : un ouvrage X (classe œuvres) a pour auteur X (classe
personnes), est localisé sur une étagère X (classe localisations), et contient
lui-même des documents (classe inserts). L’objectif est ici de recréer un
contexte autour des documents insérés ; la réutilisation d’un certain nombre de
données favorisée par l’espace d’interopérabilité du web de données apparaît,
pour ce faire, une opportunité incontournable. Un certain nombre de données
pourront être récupérées via le site de la Bibliothèque nationale de France
data.bnf.fr
L’utilisation d’un modèle en graphe permet d’éclater la description, et chaque
instance de classe constitue alors un lien hypertexte vers une ressource. La
modélisation en RDF permet une navigation le parcours de
sens
dans sa présentation du
Le graphe permet également d’entrevoir un élargissement du corpus initial. En
effet, l’étude détaillée de la bibliothèque a permis d’aborder une réflexion
étendue à l’ensemble des archives de Marker. Le principe d’association décrit
en troisième partie apparaît à la base du système développé par Marker dans
l’ensemble de ses archives. Il est alors apparu fondamental de le signifier en
associant les éléments directement connectés à la bibliothèque – en
l’occurrence, les photographies, archives papiers, numériques et éventuellement
audiovisuelles du fonds, liées par le thème qu’elles abordent, à un ou
plusieurs inserts. Les objets et bibelots côtoyant les ouvrages pourront
également être reliés par leur localisation. Ici, l’utilisation des
technologies du web de données permettrait de pallier le contingentement des
archives matérielles de la Cinémathèque française : la description et le
traitement des éléments d’un fonds se répartissent actuellement au sein des
différents services (organisés par typologie documentaire) et en différents
silos documentaires indépendants. Il est possible d’envisager de réaliser une convergence des données
Ainsi l’utilisation du modèle RDF permettrait de restituer virtuellement un contexte aux archives disséminées dans les ouvrages de la bibliothèque de Marker. L’inscription du projet dans un espace d’interopérabilité présente une double opportunité : d’une part, s’appuyer sur des données structurées existantes, d’autre part, envisager d’établir un pont vers d’autres éléments du fonds Marker. L’ambition est ici de proposer un espace de valorisation global où le modèle orienté graphe rétablit la dynamique d’association déployée par Marker, dynamique désormais figée, sorte d’intelligence arrêtée à la manière d’
warburgienneconvertie au numérique par une modélisation en graphe, permet de restituer les mécanismes intellectuels qui gouvernent à cet agencement matériel et révèle en creux la
adopteret
continuer.
In 2012, the Cinémathèque française received the archives of cinematographer Chris Marker who passed away that year. The acquisition of Marker’s library is significant because of the extent of the collection and the diversity of subjects it treats. Marker created books as his system of record keeping, collecting and compiling correspondence, photographs, press clippings, etc. Nearly all of these elements could be linked to other documents in other books.
The archives are not available for physical consultation to avoid putting the books at risk of damage; instead, the Cinémathèque decided to create a virtual library of Maker’s archives where each element of his books is made available in digital form.
As part of an internship completed in the framework of the
Examines how to treat, describe, and make available a virtual library of Chris Marker's archives.
For articles in languages other than English, DHQ provides an English-language abstract to support searching and discovery, and to enable those not fluent in the article's original language to get a basic understanding of its contents. In many cases, machine translation may be helpful for those seeking more detailed access. While DHQ does not typically have the resources to translate articles in full, we welcome contributions of effort from readers. If you are interested in translating any article into another language, please contact us at editors@digitalhumanities.org and we will be happy to work with you.
documentaireshors série,