Abstract
Appréhender l’évolution d’un territoire forestier, c’est croiser le temps et
l’espace. C’est donner une dimension temporelle à un objet semi-naturel ou
construit par l’homme et considérer que cet objet peut être spatialement en
mouvement. Dans le cadre de la démarche de recherche appliquée dans lequel
s’inscrit ce travail (politique de reboisement), il a été nécessaire de
recourir à des outils particuliers et de rendre lisibles et utilisables les
données anciennes.
La méthode SyMoGIH (Système modulaire de gestion de l'information historique)
offre la possibilité de construire le discours à différentes échelles
d’analyses (territoire, éco-paysage, lieu), tout en intégrant les disparités
spatiales et temporelles qui composent chaque élément géographique de
l’Avesnois. Par cette méthode, le discours historique est spatialisé tout en
étant borné temporellement.
Introduction
«La Géographie n’est que l’Histoire dans l’espace, comme
l’Histoire n’est que la Géographie dans le temps »
[
Reclus 1905]. Cette citation du géographe Élisée Reclus n’a pas été choisie de
manière fortuite. Pour Reclus, les évolutions du caractère physique de la Terre
s’expliquent par les faits antérieurs, par l’histoire. L’histoire est pour lui
toute l’histoire au sens universel : celle de la nature, des animaux et du
genre humain. Il a su ainsi rapprocher espace et temps, spatialiser sa pensée
tout en la « temporalisant ». L’historien
d’aujourd’hui qui s’intéresse à un objet d’étude « traditionnellement » analysé par le géographe, comme la forêt, ne
peut qu’évoquer les conditions évolutives du milieu physique tout en
s’intéressant à l’action de l’homme dans le temps. Ce rapprochement entre les
sciences géographiques et les sciences historiques ainsi que l’étude
multiscalaire (temps de l’homme et temps de la nature) sont aujourd’hui bien
établis. Pour autant, parvenir à construire un discours historique cohérent
tout en intégrant l’emboîtement des échelles spatiales n’est pas aisé.
Comment parvenir à associer espace et temps, lieu et temps ? Tenter d’adjoindre
temps et espace suppose une mise en perspective critique de sources
différentes : les données écrites pour le temps et les données cartographiques
pour l’espace. Ce croisement des sources de natures différentes, l’emboîtement
des échelles temporelles et spatiales imposé par ce croisement, ne permettra de
construire un discours historique pertinent sur la coévolution des relations
Sociétés-Milieux, que par la mise en place d’un outil géo-historique
efficient : le Système d’information géo-historique.
Nous présenterons d’abord le contexte d’étude, les spécificités du territoire
de l’Avesnois, les sources disponibles et les questions que soulève la mise en
place d’un système d’information géo-historique qui utilise les cartes
disponibles à partir du XVIIIe siècle, ainsi que
les données historiques remontant jusqu’au XIIIe
siècle pour la reconstitution des relations entre l’homme et la forêt. Nous
aborderons ensuite les apports et l’application de la méthode SyMoGIH à travers
deux exemples : le bois George et l’ensemble bois de Beaurieux et du Parc.
Enfin, nous présenterons les premiers résultats d’une restructuration des
données et d’une reformulation du discours d’analyse historique grâce à la
méthode SyMoGIH permettant d’interroger les cartes et les données historiques
disponibles afin d’étudier de manière fine l’évolution du boisement dans le
temps.
1. Conjuguer l’espace et le temps. Méthodologie appliquée à un territoire
forestier.
1.1 Contexte et territoire d’étude
Les départements du Nord et du Pas-de-Calais disposent de l’un des taux de
boisement les plus faibles de France, entre 8 et 10 % selon les indicateurs
employés. Afin de remédier à cela, l’institution régionale a initié entre
2010 et 2015 une politique volontariste, le Plan forêt régional (PFR) dont
l’objectif était de doubler la superficie boisée sur l’ensemble du
territoire d’ici une vingtaine d’années, tout en améliorant la
multifonctionnalité de la forêt. Pour être opérationnelle et efficace, cette
politique de boisement requiert alors de dresser l’état passé et actuel des
forêts de la région. Dans le cadre de ces politiques, les demandes en
matière d’analyse historique multiséculaire sont importantes.
Un premier état des forêts anciennes a été réalisé sur le secteur de
l’Avesnois dans le cadre d’une thèse en histoire environnementale financée
en contrat Cifre par le conseil régional [
Debarre 2016]. Ce
travail se devait de répondre à plusieurs objectifs au croisement entre
recherches fondamentale et appliquée : analyser les modalités des actions
humaines et leurs impacts sur les espaces forestiers, mettre en évidence des
zones anciennement boisées pouvant faire l’objet de replantations lorsque
l’occupation du sol le permet.
L’Avesnois se situe au sud du département du Nord, à la frontière du
département de l’Aisne et de la Belgique. Le bocage et la forêt ainsi que
des reliquats de cloisons forestières, bordant les anciennes haies
médiévales, forment les paysages les plus caractéristiques de ce territoire.
Avec 30 745 ha de forêts, soit un taux de boisement de 19 %, l’Avesnois est
la sous-région la plus boisée des départements du Nord et du Pas-de-Calais.
1.2 « État de l’art » : la carte ancienne
sollicitée
L’histoire environnementale se définit aujourd’hui comme l’étude dans le
temps, des interactions des sociétés avec leurs milieux. L’un de ses
objectifs majeurs est de permettre de situer les évolutions contemporaines,
rapides et parfois complexes, dans un contexte historique dont le rôle
explicatif est essentiel. Autrement dit, l’historien de l’environnement
considère le paysage d’aujourd’hui comme un héritage des actions
anthropiques passées.
Au regard des questionnements précédemment évoqués au croisement de
recherches fondamentales et de recherches appliquées, l’historien de
l’environnement, dans le cadre de ce travail, se devait de renouveler les
manières d’écrire le discours historique. Inscription dans le temps long,
imbrication des échelles spatio-temporelles, mise en œuvre de sources
diversifiées – dans le temps et l’espace – sont rendus possibles grâce à de
nouvelles méthodologies et concepts. L’outil le plus efficient pour
l’historien et les gestionnaires forestiers actuels, qui permet de retracer
les dynamiques spatio-temporelles, est le système d’information
géo-historique (SIG).
Les chercheurs en sciences naturelles, en sciences humaines et sociales [
Gregory 2007] et en informatique [
Dumenieu 2015]
comprennent aujourd’hui l’intérêt d’employer la cartographie ancienne, qui
offre des éclairages nouveaux sur des thématiques actuelles ([
Buridant et al. 2013] ; [
Dardignac et Le Jeune 2011]). Les projets
de SIG historique se multiplient, justifiant l’intérêt de la démarche
géo-historique ; ils concernent essentiellement les évolutions politiques et
sociales des territoires. Nous pouvons citer, par exemple, le GBHGIS
(système historique d’information géographique de la Grande-Bretagne) porté
par l’Université de Portsmouth, qui est une collection numérique
d’informations sur les localités britanniques.
Dans le domaine environnemental, les SIG historiques se sont également
développés. Citons le projet GEORIA (base de données géoréférencées de
données environnementales, sociales et sanitaires au Canada) porté par les
Universités Laval et de Toronto, ou encore le GIS Research to Digitize Maps
of Iowa (1832-1859) Vegetation, porté par l’Université de l’État de l’Iowa.
En France, quelques études sur les forêts anciennes ont été pionnières :
celles menées par Jean-Luc Dupouey et Daniel Vallauri sur la carte de
Cassini [
Vallauri, Granier et Dupouey 2012] ou bien par Georges-Leroy sur le
massif de la Haye en Meurthe et Moselle [
Georges-Leroy 2009].
Ces études montrent que les outils SIG pour la numérisation, le
géo-référencement et la digitalisation sont adaptés aux exigences des cartes
anciennes (calage, échelle, qualité du raster etc.), mais qu’il est
préalablement nécessaire pour les chercheurs d’élaborer des critères de
sélection (lisibilité, accessibilité de la ressource, pertinence etc.).
Par ailleurs, le SIG s’applique aux différentes échelles spatiales
(territoire, massif forestier, canton forestier etc.), un travail sur les
lieux géographiques est alors primordial. Le logiciel SIG permet de
superposer des cartes anciennes ayant été établies à des échelles
différentes. Enfin, la cartographie en un temps donné, par l’emploi de la
méthode régressive, peut éclairer une discipline travaillant sur des
temporalités beaucoup plus longues que ceux des objets cartographiques.
Cependant, une remarque s’impose : lorsque la donnée archivistique a été
employée, elle s’est souvent avérée contemporaine aux données
cartographiques ; l’emboîtement de la donnée spatiale et de la donnée
attributaire issue de sources historiques ne pose alors aucune difficulté
méthodologique. L’emploi d’une donnée plus ancienne induit d’autres
problématiques. Dans le cas du projet SIG Avesnois, les données
cartographiques couvrent une courte période (1730-1866). Les données
historiques attributaires, quant à elles, issues des sources écrites,
offrent un recul temporel plus important (XIIe–XVIIIe siècles). L’imbrication des
géométries et des données historiques attributaires ne peut être aussi
facile que pour les projets précédemment exposés. L’enjeu de ce travail est
alors de projeter des données attributaires issues de sources historiques
dans un espace pour lequel nous ne disposons d’aucune donnée spatiale
contemporaine de ces données attributaires. La mise en place d’un SIG, avec
de telles problématiques, oblige l’historien à s’interroger sur la notion
habituellement étudiée par le géographe : le lieu. Au-delà de la simple
définition du lieu pour l’historien, viennent s’agréger d’autres
questionnements : le degré de pertinence de la localisation, les variations
de la dénomination à travers le temps, la nature du lieu, l’emboîtement des
échelles spatiales (province, circonscription administrative, massif
forestier) et temporelles issu de sources variées.
1.2 De la source écrite à la carte
1500 documents issus d’archives autant publiques que privées ont été
étudiés. Il s’agit majoritairement de comptabilités issues du domaine royal
ou seigneurial, de correspondances ... Afin d’établir la pertinence de ces
sources pour l’étude des dynamiques spatiales et temporelles des massifs
forestiers de l’Avesnois, il est nécessaire d’en connaître les apports, mais
aussi les limites. Ce corpus de sources d’archives apporte une meilleure
connaissance de l’objet d’étude sur les points suivants :
- la toponymie des lieux, la localisation et la superficie approximative
de ces derniers, relevées quasi-systématiquement ;
- les éléments de contextes généraux : social (guerre, trouble, famine,
etc.) et abiotique (climat) ;
- la propriété foncière et les conflits qu’elle engendre ;
- les modalités de gestion de ce domaine forestier : ordonnances
forestières, protection des massifs forestiers, institution du personnel
gestionnaire (hiérarchie, compétences, caractères sociaux, rémunération,
etc.) ;
- les activités socio-économiques, point d’ancrage des relations
hommes-milieux : charbonnage et autres activités proto-industrielles,
activités sylvopastorales, exploitation sylvicole (bois d’œuvre, bois
d’industrie, petit bois etc.) dont les modalités et l’intérêt économique
sont précisés (évolution des prix de vente, des salaires, prix
d’adjudication des locations, délits forestiers etc.).
- les indications phytoécologiques : mentions d’essences forestières, de
faune, état des peuplements (procès-verbaux de visite) ;
- les mentions d’un paysage dynamique et anthropisé : constructions de
chaussées, embocagement des parcelles, défrichements,
« grignotages » des lisières forestières, etc.
Pour autant, ce corpus documentaire présente aussi ses limites. Le
déséquilibre entre les séries entraîne assurément une disproportion entre la
quantité d’informations provenant des organisations comtales et des
institutions religieuses, biaisant en quelque sorte notre analyse : en
effet, les massifs forestiers du comte de Hainaut et des seigneurs influents
de ce territoire sont plus aisément appréhendés que ceux des propriétés
ecclésiastiques.
Autre point cette fois sur la répartition temporelle des documents :
celle-ci fait entrevoir de grandes disparités entre les siècles : 0,5 % pour
le XIIIe siècle, 4,7 % pour le XIVe siècle, 18 % pour le XVe siècle, 23,7 % pour le XVIe siècle,
33,3 % pour le XVIIe siècle, 18,5 % pour le
XVIIIe siècle, 0,07 % pour le XIXe siècle, 1,3 % de documents non datés. Cette
prééminence du XVIIe siècle pourrait
« déséquilibrer » l’analyse puisque les informations
sont plus nombreuses pour ce siècle qu’elles ne le sont pour les périodes
antérieures.
Le contenu géographique de ces documents d’archives est un élément essentiel
à la compréhension de l’emboîtement des échelles spatio-temporelles. Les
XIIIe et XIVe
siècles, caractérisés par un nombre croissant de documents, connaissent une
évolution identique en ce qui concerne les mentions de lieux. Deux aspects
majeurs distinguent les XVe et XVIe siècles, qui offrent par ailleurs une quantité
non négligeable de documents.
- La première est la relative stabilité du nombre de massifs forestiers
mentionnés (environ quarante), il s’agit fort probablement des mêmes
lieux. L’historien aura la possibilité de mener une étude diachronique
sur un espace géographique relativement limité (ne couvrant pas
l’ensemble du territoire de l’Avesnois).
- La seconde est la forte proportion des lieux au XVIe siècle. La donnée
« lieu » atteint une échelle de précision fine.
L’administration espagnole n’est pas étrangère à cela. S’observe dans les
documents d’archives de cette époque, dans les comptabilités en
particulier, une obligation d’« exactitude des faits » de la part
des administrateurs royaux imposée par la Chambre des Comptes de Lille.
Au XVIIe siècle, ce phénomène de précision de la
donnée se poursuit et s’accentue. Le nombre de lieux s’accroît (environ
soixante lieux) ; l’historien mène alors son analyse sur un espace
géographique mieux défini. Cette étude peut être conduite à une échelle
géographique plus fine en s’intéressant à la continuité ou discontinuité de
l’état boisé. Ces éléments géographiques issus des sources écrites, forment
des données complémentaires à la cartographie ancienne.
Afin de disposer d’un corpus cartographique cohérent, plusieurs critères de
sélection de la donnée cartographique ont été retenus : la donnée doit être
facile d’accès ; couvrir l’ensemble du territoire d’étude ; représenter les
massifs (forêt, bois, haie, etc.), les micromassifs (bosquets, haies basses,
vergers etc.) et les toponymes forestiers qui rappellent un ancien état
boisé (par exemple : l’Épine, Bois Sarté, le défriché etc.) ou une
proto-industrie (forge, verrerie, fourneau etc.) ; être facilement
numérisable et géoréférençable.
Quatre cartographies ont donc été sélectionnées et ont subi des traitements
informatiques
[1]
à des niveaux différents.
- La carte de Claude Masse (1730-1737) est généralement levée au 1:28 000. Cette source offre une précision remarquable quant aux formes
géométriques des massifs forestiers, à la toponymie et à l’agencement
spatial. Les dalles de Claude Masse représentant l’Avesnois ont été
digitalisées, géoréférencées et vectorisées.
- La carte de Cassini (1749-1790) est levée au 1:86 400e et présente une sémiologie normalisée pour
l’ensemble de la France. Bien que cette carte soit d’un grand intérêt
pour la localisation des activités proto-industrielles, du bâti ou de la
toponymie, elle est à utiliser avec grande prudence lorsqu’il s’agit de
l’exploiter dans une analyse de l’étendue spatiale des massifs
forestiers. En effet, ces derniers forment des « bouquets », et
n’ont pas de limites bien définies. Cette carte a été initialement
digitalisée par l’équipe de Jean-Luc Dupouey et Daniel Vallauri [Vallauri, Granier et Dupouey 2012].
- La carte d’État-major (1835-1866) est levée au 1:40 000e sur des dessins-minutes réalisés par les
officiers de l’État-major. La finesse et la précision de la typologie des
éléments naturels permettent à l’historien de visualiser finement les
paysages. Sur cette carte, les forêts ont été vectorisées, les toponymes
et proto-industries ont été localisés.
- L’Occupation du sol (Ocsol, 2009) est un inventaire de l’occupation
physique des sols constitué par le service SIG de la Région. Cette carte
fait apparaître tous les milieux dont la superficie dépasse 0,5 ha
(échelle 1:25 000e).
Pour chacune de ces quatre cartes, deux couches SIG ont été créées : l’une
pour les « polygones forêts », l’autre pour les « toponymes ». La
superposition des quatre couches de forêts permet de visualiser l’agencement
spatial de ce territoire. Dans les couches SIG, chaque polygone
« forêt » dispose d’un identifiant unique. Cet identifiant a été
reporté dans la base de données historique (les 15000 données issues des
sources écrites ont été organisées dans un tableur Excel) afin de faire le
lien entre la donnée cartographique et la donnée d’archives.
1.3 La superposition des couches SIG, une première réponse…
Pour autant, de nombreux questionnements sur ce dispositif de jointure entre
données cartographiques et données écrites sont apparus : tant du point de
vue de l’analyse spatiale, de la variabilité des échelles géographiques que
de l’imbrication de l’épaisseur temporelle aux lieux.
1.3.1 Les « entités décalées »
En superposant les trois couches vectorisées, des décalages de plus ou
moins grande importance apparaissent entre ces couches. Ces
« distorsions » peuvent s’expliquer principalement
par la qualité du géoréférencement ou du relevé initial des cartes. Dans
ce cas, la difficulté concerne la géométrie du massif et de sa dynamique
spatiale dans le temps.
Dans un SIG, les données attributaires issues d’une base de données
peuvent être adjointes au polygone, dans notre cas au polygone
« forêt ». Pour lier le lieu à son information
attributaire, quelle géométrie de massif le chercheur doit-il prendre en
considération ? Doit-il considérer l’ensemble de la forme géométrique du
massif avec ses variations ? Ou s’intéresser à ce qui est resté boisé
entre les différentes périodes ? La superposition présente l’avantage
d’incorporer l’ensemble des évolutions entre les trois périodes (bois
apparus, partiellement disparus, disparus etc.) mais au regard de ce qui
a été exposé précédemment doit-elle être utilisée comme couche principale
pour l’analyse des données ? Ou devons-nous justifier le choix de cette
carte en considérant le noyau forestier comme représentant l’ensemble du
massif ?
Si tel est le cas, ces « entités décalées » sont-elles un frein à
l’analyse ? Pour illustrer, prenons le cas du massif forestier nommé
« La Puissance » situé à l’ouest du
territoire d’étude.
Le massif « La Puissance » (toponyme présent
sur État-major et Cassini) est nommé « Bois
Georges » sur la carte de Claude Masse. Il s’agit d’un parfait
exemple d’« entités décalées », entendons par là un lieu ayant des
points de coordonnées et géométries juxtaposés entre les différentes
sources cartographiques. Le massif initial sur Claude Masse se situe plus
au sud ; sur Cassini, il est orienté différemment (nord, nord-est). Les
formes semblent correspondre entre État-major et l’Occupation du sol,
bien qu’il apparaisse une légère distorsion ; le massif sur la carte
d’État-major étant légèrement plus au nord. Dans ce cas précis, comment
attribuer les données historiques au lieu ? Doit-on superposer les
couches et considérer comme noyau forestier ce qui est commun à Cassini,
État-major et l’Occupation du sol ? Que faire dans ce cas de la géométrie
présente dans les cartes de Claude Masse ? Parallèlement à cela se pose
la question de la lisibilité des couches SIG. Superposer deux couches et
en faire une analyse est aisé ; lorsqu’une troisième, voire une quatrième
couche s’ajoutent aux deux premières, l’étude devient complexe car
difficilement lisible.
Ces diverses limites de la méthode requièrent un remaniement
méthodologique car il influence les analyses spatiales. En étudiant
l'évolution d'un lieu entre les trois périodes formées par la donnée
cartographique, le chercheur pourrait être amené à conclure qu’une
dynamique de lisière apparaît entre ces trois pas de temps – le massif se
déplaçant vers l'est, dans le cas du lieu « La
Puissance », par exemple. Cette question est directement liée à
l’imprécision cartographique initiale (forme très arrondie des massifs
forestiers sur Cassini notamment, représentés par des
« bouquets » d’arbres) : comment gérer cette
imprécision ?
1.3.2 La dynamique des lieux
Une autre interrogation émerge concernant l’analyse des dynamiques
spatiales et le suivi du boisement dans le temps. Prenons l’exemple des
bois de Beaurieux et du Parc situés au nord-est de l‘Avesnois, à
proximité de la frontière belge. Ces deux lieux connaissent une dynamique
bien particulière tant du point de vue de leur dénomination que de leurs
limites internes. Trois problèmes se posent alors : l’évolution de la
dénomination d’un ou plusieurs lieux, la localisation et la dynamique
spatiale de ce ou ces lieux.
Seul le corpus cartographique, même élargi aux cartes non géoréférencées,
ne peut suffire à une analyse sans les données d‘archives. Ce constat est
d’autant plus vrai quand il s’agit de mettre en évidence les évolutions
concernant l’appellation des lieux.
Cette dernière est en effet très aléatoire d’une source à l’autre comme
le montre le cas des bois de Beaurieux et du Parc :
- sur la carte de Claude Masse (1730), apparaissent les bois de
Beaurieux et du Parc ;
- sur Cassini (1749-1786), seul le bois du Parc est visible ;
- sur État-major (1834-1866), le toponyme bois de Beaurieux est
précisé :
- sur Occupation du sol[2] (2009), sont présents
bois du Parc et bois de Beaurieux.
De plus, la géométrie « globale » de ces massifs, issue de
la donnée cartographique, est quasiment identique sur l’ensemble des
cartes. Ce sont les « limites internes » entre les deux bois qui
fluctuent énormément.
Bien évidemment, l’historien ne peut exclure les limites des sources
cartographiques quant à l'appréciation des résultats. Une question
méthodologique se pose toutefois : comment gérer à la fois cette
fluctuation des limites internes et l’évolution du nom des lieux dans le
temps ?
Une nouvelle méthode appliquée aux espaces forestiers de l’Avesnois :
SyMoGIH
L’articulation entre la représentation spatiale des massifs forestiers en
partant des cartes disponibles à partir du XVIII siècle et les données
historiques les concernant, comportant un différentiel temporel qui peut être
important, soulève des questions qui ne peuvent pas être traitées dans un SIG
classique en associant directement géométries et données attributaires.
La méthode générique et collaborative mise au point par le pôle numérique du
Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) propose une
articulation nouvelle entre ces deux dimensions.
2.1 Une méthode générique et collaborative
Cette méthode permet de mettre en place un système d’information générique
et ouvert traitant l’information historique en prenant en considération à la
fois les dimensions temporelle et spatiale de cette information [
Butez 2013, 30]. Elle a été conçue dès 2007 par un groupe
d’historiens appartenant au LARHRA et est développée actuellement au sein de
son Pôle histoire numérique par une équipe d’historiens, d’informaticiens et
de géomaticiens
[3]. Ce projet s’est construit autour d’une réflexion sur une
méthode de modélisation permettant aux historiens de partager entre eux,
dans une base de données collaborative, les informations de qualité
scientifique récoltées au cours de leurs recherches.
Une plateforme a été mise en place au sein de laquelle on peut stocker, de
manière individuelle ou collective et de façon cumulative, des données
historiques structurées, des données spatiales, etc. Le chercheur saisit ses
données dans une interface web nommée BHP (Base d’Hébergement de Projets),
tout en se référant à une documentation commune à tous les participants au
projet qui le guide dans la création de ses objets et de ses informations
historiques. Cette documentation est accessible sur le site principal du projet
[4], ainsi
que via un wiki réservé aux membres du projet et qui fait office de
manuel.
La dimension géographique a été intégrée dès les débuts du projet SyMoGIH
car la contextualisation spatiale joue un rôle capital pour l’interprétation
comme pour la représentation de l’information historique [
Butez 2013, 30]. Cette méthode de modélisation a amené à
concevoir un modèle de données générique, indépendant de toute problématique
de recherche et permettant le stockage collaboratif des informations
historiques. Le modèle générique est instancié en fonction des demandes des
chercheurs qui participent au projet afin de préciser le sens de chaque
unité de connaissance retenue et de documenter l’opération de production des
données. De ce travail de conceptualisation et de documentation est née une
sémantique de référence.
La méthode SyMoGIH repose sur deux principes fondamentaux : l’atomisation de
l’information et un effort d’objectivation de la production des données. Il
s’agit de décomposer l’information historique en données primaires,
c’est-à-dire d’identifier des unités de connaissance atomique auxquelles on
associe tous les objets qu’elles relient, tout en spécifiant quel est le
rôle de chaque objet. Chaque connaissance produite est authentifiée et
dispose d’une source afin de favoriser le partage des données et de garantir
leur traçabilité. Cette méthode permet de reconstituer l’environnement
historique des objets concernés à partir d’informations cumulées au cours
des dépouillements des sources archivistiques et de la documentation
cartographique disponible. Comme les objets participent à de multiples
unités de connaissance, celles-ci permettent de reconstituer de manière plus
ou moins accomplie l'existence historique de chaque objet.
Dans le modèle SyMoGIH, tous les événements ou informations descriptives qui
portent sur des lieux, par exemple une forêt, sont traités en tant qu’unités
de connaissance. Les unités de connaissance peuvent être de deux types :
soit de type « contenu », dans le cas où l’historien souhaite retenir
le récit des événements tel qu’il se trouve dans la source étudiée, soit de
type « information », pour les connaissances produites par l’étude
critique d’une ou plusieurs sources.
SyMoGIH comprend des objets historiques regroupant une collection ou une
classe d’individus (exemple : collection « Acteurs
collectifs », classe d’individus « abbaye de Liessies »,
« abbaye de Maroilles », « abbaye du Val de Mons » etc.) qui
présentent les mêmes propriétés et partagent la même « essence »
[
Beretta et Vernus 2012, 88]. Ces objets sont définis par des types et des classes permettant de
les organiser adroitement. Le type opère une séparation exclusive entre
individus, en créant des sous-ensembles sans intersection, puisqu’un
individu ne peut appartenir qu’à un seul type (exemple : un lieu est soit un
élément géographique naturel, soit un lieu habité). En revanche, les classes
permettent de créer des sous-ensembles avec intersections : un individu peut
appartenir à plusieurs classes [
Beretta et Vernus 2012, 88]. Chaque
objet historique dispose d’un identifiant unique utilisé dans l’ensemble du
système d’information. Cet objet est identifié par un certain nombre
d’éléments comportant des notices qui en décrivent les caractéristiques
principales (type, classe[s]). Finalement, dans la méthode SyMoGIH, un objet
historique n’existe que par les informations auxquelles il est associé et
grâce aux liens créés avec les autres objets.
En définitive, la méthode SyMoGIH permet de rendre compte des différentes
étapes du travail historique, du dépouillement de sources jusqu’à la
production de connaissances fondée sur un examen critique, en les stockant
comme tels [
Beretta et Vernus 2012, 102]. Ce concept SyMoGIH est
particulièrement intéressant pour l’étude des évolutions des lieux dans le
temps. Il permet d’atteindre une dimension plus efficace face aux
questionnements historiques, répondant à l’une de nos problématiques
majeures : celle du différentiel temporel entre données historiques et
cartographiques. Le SIG n’est plus conçu comme une superposition de couches
auxquelles viennent se superposer des données historiques attributaires mais
comme un système d’information où objets cartographiques et historiques sont
évolutifs et interdépendants.
2.2 Concept du lieu d’après la méthode SyMoGIH
C’est au sein de ce système d’information que l’historien traite, à partir
de ses sources, ce qui relève classiquement du domaine attributaire du
« lieu ». Ce dernier devient ainsi le point d’ancrage de toutes les
données (spatiales et attributaires) qui le concernent, tout en sachant que
pour identifier un « lieu », le chercheur ne peut se fier qu’à son
toponyme qui évolue au cours du temps ou à sa localisation prise en aparté,
mais qu’il doit faire converger toutes les informations historiques et
géographiques dont il dispose, issues de différentes époques et sources.
Trois éléments identifient le lieu nommé Named Place (NaPl) : son nom (le
lieu peut être associé à un ou plusieurs noms -historique, actuel- dont l’un
est obligatoirement qualifié de nom standard) ; son type unique (élément
géographique naturel, surface d’infrastructure, surface de territoire
etc.) ; sa classe (une ou plusieurs classes : bois, forêt, étang dans le cas
d’un élément géographique naturel par exemple) et sa localisation (la
localisation peut être renseignée sous une forme ponctuelle ou une emprise
spatiale et associée à un degré d’incertitude). Ces quatre composants
identifient le lieu de manière singulière ainsi qu’un identifiant unique
alphanumérique (NaPl1, NaPl2, NaPl3 etc.).
Le « named place (NaPl) » représente un lieu ayant une existence
historique. Il s’agit d’un objet abstrait, c’est-à-dire de la classe de
toutes les instanciations effectives que ce « lieu » a connu au cours
de son histoire et qui peuvent varier dans leur forme. À chaque objet de
type « lieu » seront associées toutes les connaissances issues des
sources et des cartes pour chaque époque qui le concernent, indépendamment
des formes que le lieu a effectivement eues au cours de son existence. Si
deux lieux, d’abord traités séparément, s’avèrent identiques, ils pourront
être fusionnés ; il sera alors possible d’associer les « contenus » et
« informations » qui les concernent respectivement.
Pour traiter les évolutions spatio-temporelles du lieu au cours de son
histoire, la méthode SyMoGIH introduit une deuxième entité, la « forme
concrète du lieu », appelée concrete time
specific form. Cette entité représente la reconstitution par
l'historien de la forme propre à un lieu, son étendue, ses contours, à un
instant spécifique ou durant une période de temps donnée. Comme tout autre
objet, la forme concrète est construite par le chercheur, mais, à la
différence du lieu qui ne dispose que d’une localisation générique, elle
décrit la forme plus ou moins précise attribuée au lieu à une époque donnée,
en fonction des sources.
Un lieu sera donc associé à une ou plusieurs formes concrètes que
l’historien construit à partir de connaissances tirées des sources, écrites
ou cartographiques, qui décrivent les contours du lieu à un moment précis du
temps. Un événement historique comme un acte de déboisement ou un feu de
forêt ravageant un quartier de forêt peut donner lieu à l’apparition d’une
nouvelle forme concrète, munie d’un identifiant unique, indiquant que
l’historien a identifié à cet instant un changement significatif concernant
l’étendue spatiale ou les contours du lieu.
Quant aux géométries, elles n’interviennent qu’en dernier lieu en tant que
représentation des formes concrètes reconstituées grâce aux données
archivistiques et cartographiques. La forme concrète n’est pas forcément
associée à une géométrie, elle reconstitue virtuellement une évolution
spatiale qui sera ensuite matérialisée grâce à une géométrie en fonction des
connaissances disponibles portant sur la forme concrète. À défaut de
représentation cartographique concernant un lieu, sa géométrie peut être
construite artificiellement en fonction des données attributaires
disponibles. L’origine et les raisons du choix de la forme de toute
géométrie est ainsi documentée [
Butez 2013, 32].
Concernant les géométries, les métadonnées liées à la production des
géométries ont été intégrées au système et normalisées d’après la directive
INSPIRE (conditions d’accès, descriptif, encodage de caractères, langue,
etc.).
Cette méthode propose une articulation plus développée que celle associant
directement les géométries et les données attributaires, qui garantit plus
de souplesse et permet de traiter les cas d’incertitude et de différentiel
chronologique entre les données historiques et les représentations
cartographiques disponibles.
3. Application de la méthode et résultats
Suivant la problématique d’emboîtement des échelles spatio-temporelles, clé de
compréhension des dynamiques des espaces forestiers de l’Avesnois, deux
éléments ont articulé le travail mené dans le cadre du projet SIG-Avesnois : la
normalisation de l’entité lieu et celle des données historiques attributaires.
S’agissant d’un SIG géo-historique, l’entité lieu se devait d’être structurée
en premier lieu selon la sémantique SyMoGIH (nom, type, localisation, classe ;
normalisation des métadonnées et géométries). En parallèle à cela,
l’information historique a été standardisée, amenant à la création des Formes
Concrètes des lieux.
3.1 Une donnée lieu restructurée
3.1.1 Normalisation de la donnée lieu
Le nom et la localisation constituent la première phase d’identification
du « lieu ». À cela s’ajoutent le type et la classe qui, dans la
sémantique SyMoGIH, correspondent à des objets abstraits. Les lieux ont
été typés selon quatre objets abstraits.
- Élément géographique naturel : « Éléments
géographiques localisés relatifs au milieu naturel, au
paysage ». Exemple : forêt de Mormal.
- Lieu habité : « Type d’objet géographique
“ inhabited place ” ». Exemple : les
Croisils.
- Surface d’infrastructure : « Surface terrestre
couverte par des installations, des équipements permanents qui
conditionnent le fonctionnement d’un organisme ou d’une entreprise,
l’activité économique d’une région, d’un pays ». Exemple :
forge de Laudrissart.
- Surface de territoire : « Étendue de la surface
terrestre, plus ou moins nettement délimitée, qui présente
généralement une certaine unité, un caractère particulier, où est
établie une collectivité humaine. Regroupe toutes les surfaces
territoriales administratives, juridiques, ecclésiastiques ...
définies par des frontières tracées par l’homme et relevant d’une
autorité ». Exemple : Hainaut.
Les lieux sont ainsi majoritairement typés par l’élément géographique
naturel (65 %) viennent ensuite à part égale les types lieu habité et
surface d’infrastructure. Les lieux, leur type, leur localisation ont été
assemblés dans l’une des tables de la base de données géo-historiques,
cette table sert de pivot avec les autres tables. En parallèle de ce
travail d’implémentation des NaPl, les objets digitaux, c’est-à-dire les
rasters et les vecteurs utilisés (Masse, Cassini, État-major et
Occupation du sol), ont également été intégrés à la base de données.
3.1.2 Localisation relative des lieux
Certains NaPl présents dans les sources écrites n’ont pu être localisés
précisément à partir des sources cartographiques géoréférencées. Il
s’agit :
- soit de massifs forestiers dont la source archivistique ou
cartographique non géoréférencée (cadastre Napoléonien, Atlas de
Trudaine) précise qu’ils se situent à proximité de telle
commune ;
- soit de « micro-toponymes » dont la source archivistique ou
cartographique est non géoréférencée stipule que ce lieu est localisé
à l’intérieur ou à proximité d’un autre lieu de type élément
géographique Naturel – classe bois ou forêt.
Tous ces NaPl ont donc fait l’objet d’une localisation relative en
fonction de l’information donnée par la source d’archive (exemple : en
1492, « le bosquet de la Follye se trouvant sur le
prevoste de Bavay
[5] »). Cette localisation relative est traitée
dans la sémantique SyMoGIH grâce au Type d’Information 140 (TyIn140) qui
associe le lieu à localiser au lieu qui sert de point de repère tout en
précisant, si souhaité, une distance ou une direction.
Ce Type d’Information 140 contient un ensemble de rôles : « typer »
indique la position du lieu par rapport à un autre (à côté, à
l’intérieur, ou autre), « être la direction » évoque l’orientation
du lieu à localisation par rapport au lieu repère (nord, sud, ouest
etc.), est mentionnée dans le type « localisé » les informations
concernant la distance du lieu qui est localisé par rapport à celui qui localise
[6].
Le Type d’Information 140 (TyIn140) se compose dans ce cas d’étude de
trois éléments (les types de rôle peuvent se modifier en fonction des
besoins de chaque projet).
- Le « Type de rôle » TyRo57 (identifiant unique de ce type de
rôle) : rôle utilisé pour associer le lieu (NaPl ou ImCo) qui est
localisé par rapport un autre lieu (NaPl ou ImCo) qui sert de
référence (lieu qui est localisé).
- Le TyRo8 (identifiant unique de ce type de rôle) : rôle utilisé
pour associer l’objet (NaPl, ImCo) qui sert de référence à la
localisation d’un autre. Les propriétés numériques de ce rôle peuvent
servir à mentionner la distance (lieu qui localise).
- Le TyRo98 (identifiant unique de ce type de rôle) : rôle utilisé
pour indiquer le type de localisation d’un lieu par rapport à un
autre : à côté, à l’intérieur, à proximité de etc. (typer le rôle).
Dans ce cas d’étude, le TyRo98 correspondra toujours à une inclusion
géographique (AbOb872) : le lieu se situe à l’intérieur d’un autre
lieu.
Exemple : le parc du Quesnoy (lieu localisé) est inclus (inclusion
géographique) dans le territoire de la commune de Le Quesnoy(lieu qui
localise). Les lieux localisés par rapport à un autre disposent d’un
identifiant NaPl. Selon la sémantique SyMoGIH, un NaPl doit disposer
obligatoirement de coordonnées géographiques, d’une spatial localization (SpLo). Ces lieux n’ont
pas de coordonnées propres puisqu’ils sont localisés par rapport à un
autre lieu. Afin de disposer toutefois de cet élément essentiel pour
l’identification du lieu, un point de coordonnées a été créé de manière
plus ou moins aléatoire (exemple : pour le parc du Quesnoy, point
correspondant au centroïde du territoire de la commune du Quesnoy), tout
en précisant le degré de certitude de la localisation (certaine, postulée
ou reconstituée). Dans le cas du parc du Quesnoy, la localisation sera
reconstituée. L’ensemble des localisations de chaque lieu du projet
dispose de ce degré de certitude de la localisation.
Cette structuration des lieux et des sources historiques (archivistiques
et cartographiques) engendre un procédé nouveau quant à l’analyse des
emboîtements d’échelles spatio-temporelles.
3.1.3 Normalisation de la base de données historiques
En parallèle à cette structuration de la donnée lieu d’après la
sémantique SyMoGih, les données issues des archives écrites momentanément
placées dans un tableur Excel ont été restructurées et regroupées en
tables. Cette nouvelle structure du schéma SIG Avesnoisa été conçue pour
deux raisons majeures : créer des liens plus structurés entre les
différentes informations (lieu, acteur, SoCh, etc.) et faciliter le
requêtage des données, en intégrant les activités humaines (pâturage,
paisson, chasse etc.) dans une même table, nommée « activité » (cf.
le modèle logique de données).
Ce schéma se compose :
- de tables principales : napl, unite_de_connaissance, propriete,
activite, metier_acteur, etat_bois, type_metier, evenement ;
- de tables secondaires, qui sont des tables « notice »
(définition des objets) : type_source, faune_flore_notice,
contexte_notice ;
- de tables de liaison ou « associations » :
activite_faune_flore, imbrication_agent, propriete_acteur.
La table « activite » rassemble les données « activités » tels
que l’usage, exploitation, les délits, les industries. Afin de
différencier ce qui relève du droit d’usage, de l’exploitation ou encore
du délit, un identifiant dans la table « type_activite » – en lien
direct avec la table « activite » – - a été placé, dans la colonne
« groupe » :
- Identifiant 1 → exploitation (bois d’œuvre, de marine,
d’industrie etc.)
- Identifiant 2 → usage (pâturage des équidés, des bovins, des
porcins etc.)
- Identifiant 3 → entretien (traitements sylvicoles, âge des
peuplements, révolution etc.)
- Identifiant 4 → proto-industrie (bois pour les forges,
verreries, fourneaux etc.
- Identifiant 5 → délit-conflit (délits forestiers et conflits
d’usage)
La table « unite_de_connaissance » permet de gérer l’imbrication
entre un lieu et un bornage temporel, tout en sourçant l’imbrication.
Grâce à cette table, un lieu est toujours lié une source, en lien avec
une datation. À ce lieu seront rattachés, une ou plusieurs activités, un
ou plusieurs acteurs, en lien avec une datation (« annee_debut »,
« annee_fin »). De l’information se trouvant dans
unite_de_connaissance sera rapportée dans d’autres tables telles que
« imbrication_agent », « environnement »,
« evenement ».
3.3 Les formes concrètes : suivi de l’état boisé dans le temps
La forme concrète représente la reconstitution par le chercheur de la forme
propre à un lieu, son étendue, ses contours, à un instant spécifique ou
durant une période de temps donnée. Comme tout autre objet, la forme
concrète est construite par l’historien, mais, à la différence du lieu qui
ne dispose que d’une localisation générique, elle décrit la forme plus ou
moins précise attribuée au lieu à une époque donnée. Un lieu sera donc
associé à une ou plusieurs formes concrètes que l’historien construit à
partir de connaissances tirées des sources, écrites ou cartographiques, qui
décrivent les contours du lieu à un moment précis du temps.
3.3.1 Les géométries : représentation des formes concrètes
La forme concrète n’est pas forcément associée à une géométrie ; elle
reconstitue virtuellement une évolution spatiale qui sera ensuite
matérialisée grâce à une géométrie en fonction des connaissances
disponibles portant sur la forme concrète. À défaut de représentation
cartographique concernant un lieu, sa géométrie peut être construite
artificiellement en fonction des données attributaires disponibles
comportant, par exemple, l’indication de la surface d’une forêt.
Ainsi, par « géométrie », il faut entendre les représentations
spatiales géoréférencées qui seront associées aux formes concrètes. Dans
le cas du projet, il s’agit principalement de polygones construits à
partir des indications contenues dans le système d’information
géo-historique. Pour le projet, les polygones sont issus de trois
processus de production :
- soit il s’agit de polygones vectorisés sur les sources
cartographiques auparavant citées. Dans ce cas, l’historien
détermine qu’un ou plusieurs polygones matérialisent correctement
une forme concrète qu’il aura auparavant datée et définie au regard
de ses sources,
- soit le polygone est produit sous une forme ovoïde à partir
d’une superficie ancienne (en arpent, en mencaudée, en bonnier
etc.) donnée dans les sources écrites et convertie en hectare,
- lorsqu’aucune géométrie n’est disponible ou ne peut être
produite, le lieu sera représenté par un point de coordonnées.
Dans les deux premiers cas, les géométries peuvent être identifiées par
une source de manière individuelle ce qui permet au chercheur de
renseigner l’origine du tracé en plus des connaissances historiques qui
ont permis son existence et qui, pour leur part, sont stockées dans le
système d’information historique via des « contenus » ou des
« informations ». Pour les cas où la forme concrète est associée
à une géométrie, l’information historique est d’attribuée à un ou
plusieurs polygones qui sont le reflet à un instant « T » de l’état
des connaissances sur l’étendue spatiale d’un espace forestier de
l’Avesnois. Pour les cas où cette connaissance est trop incertaine pour
être matérialisée en géométrie, les attributs portent sur le point de
localisation du « named-place ».
3.3.2 Les ovoïdes
Le polygone est produit sous une forme ovoïde autour de la localisation
ponctuelle du lieu à partir d’une information historique mentionnant la
superficie connue ou estimée de la forme du lieu. Le centroïde de cette
forme sera celui présent sur État-major en premier lieu ou Claude Masse,
si ce lieu n’est présent sur l’une de ces deux cartes dans ce cas, le
centroïde sera celui de Cassini (en dernier recours).
La superficie présente dans la documentation écrite, est mentionnée en
unité de superficie ancienne – arpent, bonnier, mencaudée, rasière. La
difficulté première a été de convertir ces indications de superficie en
unité de mesure actuelle. Si pour l’arpent forestier (100 perches de
vingt-deux pieds) la conversion en hectare est bien connue (un arpent =
0,51 ha), la transformation en ha est plus délicate pour le bonnier, la
mencaudée ou encore la rasière, puisque ces mesures varient dans le temps
et dans l’espace.
Une fois cette superficie en hectare obtenue, une forme ovoïde ou ronde
correspondant à cette superficie a été créée autour du centroïde adéquat
(État-major le plus souvent). L’information historique de type superficie
ancienne a été traitée dans la BHP, par la création de Type d’Information
141 « existence d’un objet ».
Il s’agit d’une information qui met en relation un objet, un NaPl par
exemple avec une information qui occasionnent son existence ou la fin de
son existence : exemple le début de l’existence d’un « lieu » et de
sa « forme concrète » peut être occasionné par un évènement
historique identique, le « lieu » et la « forme concrète »
seront associés à la même information. Dans notre cas, l’information
TyIn141 permet de lier la forme concrète, la donnée superficie et la
source, par les types de rôle « caractériser » et
« concerner » : l’objet associé est caractérisé par une surface dont
l’unité de mesure est l’hectare. Cet objet associé surface concerne la
forme concrète CoFo. Cette information est bien évidemment identifiée
grâce à une source et datée.
Ainsi, l’exhaustivité des représentations cartographiques est relative à
l’état des connaissances selon les périodes historiques et les zones
géographiques, mais les attributs historiques sont au minimum localisés
par le point de coordonnées déterminé pour le lieu évoqué à une période
donnée.
Le bornage appliqué est alors celui de la première mention dans la
documentation écrite à la date antérieure à la première mention de
superficie ou à la première carte. S’il y a mention de superficie
ancienne, cette dernière sera représentée par un ovoïde ; le bornage
temporel sera celui de la date de la superficie ancienne à la date
précédent la première cartographie. Enfin, lorsqu’il y a des géométries,
une analyse spatiale doit être réalisée afin de déterminer si
d’importantes modifications de forme sont apparues entre les cartes
anciennes, le bornage temporel s’appliquera en fonction de ces
changements.
L’exemple des bois de Beaurieux et du Parc évoqué précédemment est assez
significatif de la complexité de l’emboîtement des échelles. Ces deux
bois, situés au Nord-Est de l’Avesnoisconnaissent une dynamique bien
particulière qu’il a fallu intégrer aux CoFo. Précisons que sur ces deux
massifs, aucune documentation écrite n’a été trouvée pour la période
étudiée. Ces deux lieux forment un ensemble dont la forme concrète est
identique jusqu’en 1866 mais ce sont les « limites internes » entre
ces deux lieux qui sont extrêmement mobiles à travers le temps. Étant
donné la prédominance (nombre de « citations » du toponyme dans le
temps mais aussi superficie) du lieu « bois de Beaurieux » à chaque
période (sauf pour Cassini), il a été décidé de faire porter la CoFo sur
le bois de Beaurieux, tout en gardant les deux NaPl. Afin de gérer la
dynamique des limites internes de ces lieux, des inclusions datées de
type TyIn140 de l’un vers l’autre et inversement ont été pensées :
-
Bois du Parc inclus dans bois de Beaurieux
(1730–1749) Info111821 ;
-
Bois du Parc localisé par rapport à bois de
Beaurieux (1828–1833) Info111822 ;
-
Bois du Parc inclus dans bois de Beaurieux
(2009) Info111823.
Trois CoFo portant sur le bois de Beaurieux ont ainsi été conçues. Le
bornage temporel et les formes (utilisation des géométries) pourront être
amodiées en fonction de nouvelles données implémentées (sources
d’archives, cartographies, iconographies etc.) :
-
1730–1866 : prendre la géométrie
d’État-Major ;
-
1867–2008 : point ;
-
2009– : prendre la géométrie de l’Occupation du
sol.
Conclusion
Les résultats de ce travail sont issus d’un long travail d’amélioration
méthodologique, mais aussi de construction du procédé historique. Ce
cheminement, grâce à l’initiation à la sémantique SyMoGIH, a amené à une
restructuration des données (de la création des « lieux » aux « formes
concrètes » de ces lieux) et à une reformulation du discours d’analyse
historique reposant sur le mode de questionnements des données. Grâce à cela,
un changement de paradigme s’effectue : les sources historiques analysées
donnent forme aux géométries des massifs forestiers et permettent un réel suivi
du boisement dans le temps.
La mise en place d’une telle méthode, l’étude comparative des sources
d’archives et des données cartographiques anciennes et actuelles, conduit à une
meilleure connaissance de l’imbrication des échelles spatio-temporelles d’un
territoire hérité, dont les disparités géographiques sont actuellement
importantes (sol, végétation, climat). Il s’agit là d’un véritable outil de
suivi du boisement, de la mise en perspective des relations homme-milieu, que
les acteurs du Plan Forêt Régional pourront employer facilement – à condition
de créer une interface de saisie et de visualisation des données plus
ergonomique.
Par cette méthode, le discours historique est spatialisé tout en étant borné
temporellement ; ce travail permet d’obtenir des résultats visualisables
directement dans le logiciel SIG. La méthode employée offre la possibilité de
construire le discours à différentes échelles d’analyses (territoire,
écopaysage, lieu), tout en intégrant les disparités spatiales et temporelles
qui composent chaque élément géographique de ce territoire.
Le projet SIG Avesnoistel qu’il est conçu actuellement présente l’avantage,
pour les gestionnaires du monde forestier actuel, mais aussi pour les
chercheurs, de considérer les forêts dans toute leur durée, leur profondeur
historique et géographique, indépendamment de leurs seules représentations
cartographiques. Ce projet est un outil performant et collaboratif (des données
peuvent y être ajoutées à des bornages temporels et sur des territoires
différents). Ce SIG bien que performant tant dans la structure que dans la
gestion de l’information historique parfois incomplète, doit être amendé en
certains points : intégration des boisements n’ayant pas de toponyme
particulier, amélioration du modèle conceptuel de données.
Remerciements
Sans la contribution de Francesco Beretta (Historien, LARHRA UMR 5190, CNRS),
de Claire-Charlotte Butez (Géomaticienne, LARHRA UMR 5190, CNRS), d’Adrien
Carpentier (Géomaticien, Conseil Régional Nord Pas-de-Calais), et l’aide
précieuse de Mesdames Corinne Beck (Professeure d’Histoire et d’Archéologie
médiévales UVHC CALHISTE EA 4343) et Fanny Milbled (Directrice déléguée au Plan
Forêt Régional, Conseil Régional Nord Pas-de-Calais), le projet SIG Avesnois
n’aurait pu être conceptualisé.