Pour faire la démonstration de ce système d’analyse numérique de la chanson,
nous nous pencherons, dans la section suivante, sur les résultats de l’analyse
de deux mises en musique du poème « La Mort des
amants », l’un des poèmes de Baudelaire les plus fréquemment mis en
chanson (avec 54 chansons s’y rapportant dans la base de données). Ce texte
offre ainsi un bon exemple de la grande variété des chansons inspirées par la
poésie de Baudelaire, tout en accentuant l’aptitude de notre méthodologie à
analyser des chansons de divers genres musicaux. Pour des raisons d’espace,
l’analyse ici ne touchera qu’à certains aspects de la chanson et mettra
l’emphase sur des questions de structure et de traitement musical de la
versification.
[1]
2.1 Claude Debussy : « La Mort des Amants »
(1887)
Les
Cinq Poèmes de Baudelaire sont parmi les
plus étudiés des mises en musique des poèmes de Baudelaire, surtout car il
existe aussi plusieurs enregistrements de ces mélodies par des interprètes
différents. L’analyse qui suit est basée sur une interprétation de Mary
Bevan enregistrée en 2011, où elle est accompagnée par Sholto Kynoch [
Bevan 2011]. Nous avons choisi cette interprétation
représentative au lieu de faire une comparaison des interprétations à
travers l’histoire des enregistrements (ceci n’est pas le but de notre
projet, mais nous reconnaissons le travail important à cet égard mené par
l’équipe de recherche
Centre for Musical Performance as
Creative Practice dirigé par John Rink à l’Université de
Cambridge, Grande-Bretagne)
[2]. Il faut donc faire une petite mise en
garde : comme il s’agit ici d’un compositeur classique et d’une interprète
qui travaille d’après une partition, il est nécessaire aussi prendre en
compte l’influence des décisions d’interprétation sur l’effet globale et sur
les données de performance. Cependant, le système d’annotation dans
Sonic Visualiser a l’avantage sur les autres en
ceci qu’il balise les indications interprétatives et la ponctuation, ce qui
permet d’évaluer à quel point ces décisions de performance renvoient à la
partition et donc, au processus de composition de Debussy.
Les données de la couche 6 pour « La Mort des
amants » de Debussy montrent que sa mise en musique est
strophique.
strophe
|
vers
|
début (s)
|
fin (s)
|
durée (s)
|
Q1 |
L1 |
14,41 |
21,33 |
6,92 |
|
R |
21,33 |
21,91 |
0,58 |
|
L2 |
21,91 |
29,79 |
7,88 |
|
R |
29,79 |
31,86 |
2,07 |
|
L3 |
31,86 |
37,28 |
5,42 |
|
R |
37,28 |
38,08 |
0,80 |
|
L4 |
38,08 |
44,03 |
5,94 |
|
R
|
44,03
|
45,58
|
1,56
|
Q2 |
L5 |
45,58 |
49,61 |
4,03 |
|
R |
49,61 |
49,99 |
0,38 |
|
L6 |
49,99 |
53,43 |
3,44 |
|
R |
53,43 |
53,70 |
0,27 |
|
L7 |
53,70 |
58,67 |
4,97 |
|
R |
58,67 |
59,22 |
0,56 |
|
L8 |
59,22 |
66,53 |
7,30 |
|
R
|
66,53
|
68,28
|
1,75
|
T1 |
L9 |
68,28 |
77,64 |
9,36 |
|
R |
77,64 |
78,19 |
0,56 |
|
L10 |
78,19 |
86,37 |
8,17 |
|
R |
86,37 |
87,86 |
1,50 |
|
L11 |
87,86 |
100,21 |
12,34 |
|
R
|
100,21
|
124,61
|
24,40
|
T2 |
L12 |
124,61 |
134,83 |
10,22 |
|
R |
134,83 |
135,31 |
0,49 |
|
L13 |
135,31 |
148,02 |
12,70 |
|
R |
148,02 |
149,15 |
1,14 |
|
L14 |
149,15 |
164,33 |
15,17 |
Table 3.
Tableau montrent la durée des vers et des intermèdes entre vers et
strophes.
Pourtant, en regardant de près la table ci-dessus, il est clair que les
pauses et les intermèdes musicaux entre les strophes (balisés « R » et
soulignés en jaune dans le tableau) ne sont pas de longueur égale, ce qui a
pour effet de changer la manière dont nous comprenons la structure du
sonnet. Entre le premier et le deuxième quatrain, il y a une pause de 1,57 s
et entre le deuxième quatrain et le premier tercet, il y a une pause de 1,75
s. Ceci ne serait pas exceptionnel si ce n’était de la grande pause de 24,4
s qui sépare les deux tercets. Cet écart entre les deux tercets, avec ses
changements dynamiques, paraît comme un deuxième tournant qui bouleverse la
structure binaire du sonnet.
Le balisage montre comment le changement à la volta est suggéré dans la mise en musique de Debussy, mais il
évite d’imiter la structure symétrique au vers 8 du poème de Baudelaire, ce
qui suggère une approche créative et flexible du texte. Alors que le poème
met l’emphase sur la métaphore du miroir et des deux esprits qui se
reflètent, grâce à la symétrie du vers 8, avec cinq syllabes de chaque côté
de la césure, Debussy préfère ne pas s’attarder à la virgule. Dans son
interprétation musicale du poème, il n’y aucune pause dans ce dernier vers
du quatrain – par contre, la mélodie s’emporte avec un crescendo qui
s’accroît jusqu’à la syllabe finale du mot « jumeaux ». Il est clair
d’après le balisage dans Sonic Visualiser,
montré ci-dessous, que ce mot-clé est très allongé et s’affaiblit
soudainement, préparant la voie au changement soudain qui se produit à la
charnière des deux strophes.
Le balisage dans Sonic Visualiser montre très
clairement ce tournant à la fin du deuxième quatrain. Après le crescendo du
piano et de la voix qui commence au milieu du vers 7 et continue de
s’accroître jusqu’à la fin du deuxième quatrain, le début du premier tercet
est balisé piano , ce qui signale un change
d’ambiance. Sonic Visualiser montre de manière
très efficace les changements de tempo : dans l’exemple ci-dessus, les
barres violettes (mots) et les barres orange (syllabes) sont beaucoup plus
espacées dans le vers 9 que dans les vers précédents, ce qui révèle une
allure plus sombre. La qualité moins intense de la voix et du piano est
soulignée aussi par la forme d’ondes qui devient beaucoup plus fine à ce
point, sans autant de variation que dans les vers qui précèdent la
charnière.
L’analyse de la mise en musique de « La Mort des
amants » de Debussy démontre comment le compositeur met au premier
plan les tensions entre la forme du poème et son contenu. Debussy s’appuie
sur les idées de tristesse et de séparation dont le poème est imprégné et
qui sont notées dans la base de données du projet comme étant des thèmes
importants. Dans sa mise en musique, le point-virgule qui termine le premier
tercet devient le porteur d’incertitude : il ne garantit ni le salut ni une
vraie conclusion, signalés par des nuances très douces à partir du mot
« adieux » qui termine le vers. La forme d’ondes montre comme la
chanteuse soprano effectue un diminuendo afin que ce mot semble s’éteindre
et, à partir de ce point-là, la forme d’ondes reste très fine jusqu’à la fin
de l’intermède du piano entre le premier et le deuxième tercet, tel que cela
se manifeste dans l’annotation dans
Sonic
Visualiser :
Ce long intermède souligne l’atmosphère d’incertitude, grâce à des
changements dynamiques : Debussy insiste sur le diminuendo échelonné du
piano qui semble s’affaiblir, en imitant la voix. La modulation, que l’on
entend clairement (de mi majeur vers do majeur) et qui se produit trois
mesures avant l’entrée de la voix, accentue cette instabilité, mais signale
aussi un coup du sort – le moment promis par l’augure du « soir fait de rose et de bleu mystique ». Cet
interlude du piano, qui retarde le dernier tercet, a pour effet de faire
attendre l’arrivée de « l’Ange, entrouvrant les
portes » pour « ranimer […] les miroirs ternis
et les flammes mortes ». Cette brève analyse de la manière dont
Debussy a « manipulé » la structure du poème dans sa mise
en musique démontre jusqu’à quel point les différents éléments du texte
poétique (ponctuation, volta ) et du texte
musical (dynamiques, interludes) interagissent.
2.2 Babx : « La Mort des Amants »
(2010)
Contrairement aux mélodies classiques de Debussy, « La
Mort des Amants » de Babx fait partie d’une nouvelle vague de
mises en musiques de la poésie, qui associe la musique rock et pop, plutôt
destinée aux jeunes, aux textes poétiques classiques. Le chanteur parle
franchement de son intérêt pour la poésie, soulignant la complexité des
rapports entre texte et musique qui est également au cœur de la recherche du
Baudelaire Song Project. Dans la pochette du disque de
Cristal automatique #1, il explique : « Les mots ont toujours été pour moi vecteurs de
musiques, d’espaces, de rythmes, de couleurs, de silences et de voix.
[...] Comment réunir la musique et ces mots-là, sans que l’un serve de
“ faire valoir ” à l’autre ? »
[
Babx 2015] Faisant un léger écho à la fascination pour la poésie qui est
enracinée dans la chanson française de Léo Ferré et Georges Chelon à Serge
Gainsbourg et Mylène Farmer, les chansons poétiques de Babx représentent une
nouvelle phase d’évolution qui indique une plus grande liberté au niveau
structurel. C’est cette combinaison du respect pour la littérature canonique
de Baudelaire et de la créativité dans son interprétation qui est soulignée
par l’analyse numérique.
Si l’on examine tout d’abord la couche 6 (structure du poème), on voit
surtout dans les passages balisés « R » et soulignés en jaune dans le
tableau ci-dessous que, plus que celle de Debussy, la chanson de Babx suit
de manière proche la structure du poème de Baudelaire, respectant chaque fin
de vers et chaque fin de strophe (quatrains et tercets).
Strophe
|
Vers
|
début (s)
|
fin (s)
|
durée (s)
|
Q1 |
L1 |
19,55 |
22,98 |
3,43 |
|
R |
22,98 |
24,10 |
1,12 |
|
L2 |
24,10 |
28,00 |
3,90 |
|
R |
28,00 |
28,93 |
0,93 |
|
L3 |
28,93 |
32,42 |
3,48 |
|
R |
32,42 |
33,11 |
0,70 |
|
L4 |
33,11 |
36,46 |
3,34 |
|
R
|
39,98
|
47,66
|
7,67
|
Q2 |
L5 |
47,66 |
51,64 |
3,98 |
|
R |
51,64 |
52,31 |
0,67 |
|
L6 |
52,31 |
56,35 |
4,04 |
|
R |
56,35 |
57,12 |
0,77 |
|
L7 |
57,12 |
61,11 |
3,99 |
|
R |
61,11 |
61,95 |
0,84 |
|
L8 |
61,95 |
68,17 |
6,22 |
|
R
|
68,17
|
113,89
|
45,71
|
T1 |
L9 |
113,89 |
118,26 |
4,37 |
|
R |
118,26 |
119,09 |
0,83 |
|
L10 |
119,09 |
122,88 |
3,79 |
|
R |
122,88 |
123,90 |
1,02 |
|
L11 |
123,90 |
129,68 |
5,78 |
|
R
|
129,68
|
132,42
|
2,74
|
T2 |
L12 |
132,42 |
137,07 |
4,64 |
|
R |
137,07 |
137,65 |
0,58 |
|
L13 |
137,65 |
142,57 |
4,92 |
|
R |
142,57 |
142,99 |
0,42 |
|
L14 |
142,99 |
149,44 |
6,46 |
|
R - Fin de texte original
|
149,44
|
151,60
|
2,16
|
Q1 (r) |
L1 (r) |
151,60 |
156,32 |
4,71 |
|
L2 (r) |
156,32 |
161,54 |
5,22 |
|
R |
161,54 |
162,19 |
0,65 |
|
L3 (r) |
162,19 |
166,49 |
4,30 |
|
L4 (r) |
166,49 |
173,08 |
6,59 |
|
R |
173,08 |
175,38 |
2,30 |
|
L4 (r)* (ss6-10) |
175,38 |
178,03 |
2,65 |
|
R |
178,03 |
183,90 |
5,87 |
|
Fin |
183,90 |
|
|
Table 4.
Données pour le balisage de la couche 6 (structure poétique)
Pourtant, les données révèlent que, même si Babx suit la versification
baudelairienne, il répète le premier quatrain du poème après un court
intermède musical de 2,16 s. Cette répétition d’une partie du texte est
importante pour comprendre non seulement la lecture singulière que Babx
propose du poème, mais aussi la perspective alternative sur le poème qui est
proposée à ceux qui écoutent sa chanson. Tel que démontré dans l’analyse de
la mise en musique de Debussy, le poème de Baudelaire se termine sur l’image
d’un Ange qui « viendra ranimer […] les miroirs ternis
et les flammes mortes » ; quoique optimiste et éthérée, l’image
globale de la dernière strophe est un peu entachée par le dernier vers, avec
les adjectifs « ternis » et « mortes » qui résonnent dans la
pensée du lecteur. Babx, par contre, insiste plutôt sur la promesse des
« cieux plus beaux », en répétant la deuxième partie du vers 8 à la
fin de la chanson, avant de reprendre le motif de guitare de l’ouverture de
la chanson.
La présence des silences et des intermèdes de guitare est importante pour
comprendre la façon dont Babx aborde la tâche de « réunir la musique et ces mots-là ». Il y a un petit intermède
musical à la fin de chaque vers (qui dure entre 0,69 s et 1,12 s) et un
intermède plus étendu à la fin de chaque strophe. On remarque que
l’intermède entre Q1 et Q2 a une durée de 6,67 s alors que l’intermède entre
Q2 et T1 est beaucoup plus long, soit d’une durée de 45,71 s. Ces deux
intermèdes, les plus longs de la chanson, suivent tous les deux un point,
balisé sur la couche 7 ; d’après ces données, on pourrait supposer que Babx
interprète ce point, signe de ponctuation très final, comme l’un de ces
« vecteurs » dont parle le chanteur, précipitant un
moment de tranquillité et de réflexion suscité par le solo de guitare.
Tandis que Debussy, de son côté, remet en cause la structure poétique du
sonnet en séparant les deux tercets d’un long intermède, Babx souligne la
charnière dans la structure musicale de la chanson, établissant cet
intermède comme une espace de réflexion et laissant résonner les images des
quatrains.
L’emphase que Babx met sur la charnière est claire d’après la forme
d’ondes ; dans la capture d’écran ci-dessous, il y a un changement visible
entre 1,17.1 min et 1,17.5 min (c’est-à-dire entre 77.0 s et 77.5s). En
fait, l’intermède commence avec un motif joué sur la guitare qui, sur le
plan musical, fait partie de la phrase précédente ; à 1,17,25 min., le motif
familier de l’introduction revient, et c’est comme si l’ordre était rétabli,
préparant le terrain pour l’annonce du nouveau cadre temporel du « soir fait de roses et de bleu mystique ».
D’après le balisage des mots et des syllabes, on comprend comment Babx joue
avec la durée des notes pour préserver la structure du poème de Baudelaire
et pour mettre en valeur à la fois le son et le sens du texte.
numérisation
|
mots
|
début (s)
|
fin (s)
|
durée (s)
|
1 |
Nous |
19,53959 |
19,6673 |
0,12771 |
2 |
aurons |
19,6673 |
20,52644 |
0,859138 |
3 |
des |
20,52644 |
20,89796 |
0,371519 |
4 |
lits |
20,89796 |
21,61778 |
0,719819 |
5 |
pleins |
21,61778 |
21,84998 |
0,2322 |
6 |
d'odeurs |
21,84998 |
22,26794 |
0,417959 |
7 |
légères |
22,26794 |
22,96454 |
0,696599 |
R |
|
22,96454 |
24,10231 |
1,137778 |
8 |
Des |
24,10231 |
24,38095 |
0,278639 |
9 |
divans |
24,38095 |
24,98467 |
0,603719 |
10 |
profonds |
24,98467 |
26,09923 |
1,114558 |
11 |
comme |
26,09923 |
26,58685 |
0,487619 |
12 |
des |
26,58685 |
26,8829 |
0,296054 |
13 |
tombeaux |
26,8829 |
28,04971 |
1,166803 |
R |
|
28,04971 |
28,90884 |
0,859138 |
14 |
Et |
28,90884 |
29,07138 |
0,16254 |
15 |
d'étranges |
29,07138 |
29,74476 |
0,673379 |
16 |
fleurs |
29,74476 |
30,69388 |
0,949116 |
R |
|
30,69388 |
30,87673 |
0,182857 |
17 |
sur |
30,87673 |
31,23084 |
0,354104 |
18 |
des |
31,23084 |
31,48626 |
0,25542 |
19 |
étagères |
31,48626 |
32,39184 |
0,905578 |
R |
|
32,39184 |
33,11166 |
0,719819 |
20 |
Écloses |
33,11166 |
34,62095 |
1,509297 |
21 |
pour |
34,62095 |
34,89959 |
0,278639 |
22 |
nous |
34,89959 |
36,45533 |
1,555737 |
R |
|
36,45533 |
37,19837 |
0,743039 |
23 |
sous |
37,19837 |
37,45379 |
0,25542 |
24 |
des |
37,45379 |
37,61633 |
0,16254 |
25 |
cieux |
37,61633 |
38,17361 |
0,557279 |
26 |
plus |
38,17361 |
38,5219 |
0,348299 |
27 |
beaux |
38,5219 |
40,00798 |
1,486077 |
R |
|
40,00798 |
47,64735 |
7,639365 |
28 |
Usant |
47,64735 |
48,71546 |
1,068118 |
29 |
à |
48,71546 |
48,878 |
0,16254 |
30 |
l’envi |
48,878 |
50,039 |
1,160998 |
31 |
leurs |
50,039 |
50,34086 |
0,301859 |
32 |
chaleurs |
50,34086 |
50,89814 |
0,557279 |
33 |
dernières |
50,89814 |
51,64118 |
0,743039 |
R |
|
51,64118 |
52,29134 |
0,650159 |
34 |
Nos |
52,29134 |
52,50032 |
0,20898 |
35 |
deux |
52,50032 |
52,77896 |
0,278639 |
36 |
cœurs |
52,77896 |
53,31302 |
0,534059 |
37 |
seront |
53,31302 |
54,49723 |
1,184218 |
38 |
deux |
54,49723 |
54,91519 |
0,417959 |
39 |
vastes |
54,91519 |
55,37959 |
0,464399 |
40 |
flambeaux |
55,37959 |
56,37805 |
0,998458 |
R |
|
56,37805 |
57,14431 |
0,766258 |
41 |
Qui |
57,14431 |
57,58549 |
0,441179 |
42 |
réfléchiront |
57,58549 |
59,2341 |
1,648617 |
43 |
leurs |
59,2341 |
59,48952 |
0,25542 |
44 |
doubles |
59,48952 |
60,44898 |
0,959456 |
45 |
lumières |
60,44898 |
61,13814 |
0,689161 |
R |
|
61,13814 |
61,92857 |
0,790431 |
46 |
Dans |
61,92857 |
62,06531 |
0,136735 |
47 |
nos |
62,06531 |
62,30816 |
0,242857 |
48 |
deux |
62,30816 |
62,42245 |
0,114286 |
49 |
esprits |
62,42245 |
64,73723 |
2,314785 |
R |
|
64,73723 |
65,73569 |
0,998458 |
50 |
ces |
65,73569 |
66,08399 |
0,348299 |
51 |
miroirs |
66,08399 |
66,75737 |
0,673379 |
52 |
jumeaux. |
66,75737 |
68,17379 |
1,416417 |
Table 5.
Tableau montrant les données de la couche 4 (mots) pour « La Mort des amants » de Babx.
Il y a très peu de pauses dans les vers : dans la première partie du sonnet,
avant la charnière, il n’y a que de courtes pauses aux vers 3 et 4 et une
pause plus longue au vers 8 (« Dans nos deux esprits,
ces miroirs jumeaux »). Le mot « esprit » est sensiblement
allongé, ce qui a pour effet de retarder la césure ; quand, enfin, on arrive
à la césure, cette pause est poignante et crée un effet de syncope. Bien
qu’il ne soit pas possible de bien saisir cette syncope dans le tableau
ci-dessus, les données aident à voir le mécanisme des rapports entre texte
et musique. Il est clair que le dernier vers du deuxième quatrain représente
l’apogée de la chanson, sur le plan poétique et sur le plan musical, et
qu’il anticipe la charnière et l’intermède musical qui suivent.
Quant aux syllabes, on remarque que dans sa chanson, Babx a tendance à
allonger la cinquième et la dixième syllabe du vers, ce qui est important à
double titre. Tout d’abord, cette technique interprétative ramène la
métrique de Baudelaire au premier plan, mais elle souligne certains mots
clés dans le texte, tels « profonds », « tombeaux »,
« lumières », « jumeaux ». Ces données soutiennent les thèmes
du poème « La Mort des amants » compilés dans la
base de données du projet. Pourtant, quand la mélodie se détourne de ce
motif métrique, la hiérarchie des thèmes est bouleversée. Par exemple, au
vers 4, « Écloses pour nous », Babx allonge aussi
la deuxième syllabe, conférant un poids égal aux mots « écloses » et
« nous » qui s’accordent, grâce à l’assonance partielle des
voyelles. En soulignant le mot « éclose » et en lui donnant une
dimension personnelle qui se rapporte à « nous », Babx met l’emphase
sur les idées de potentialité et de fécondité qui sont évoquées de manière
plus hésitante dans le poème de Baudelaire et qui, dans la mise en musique
de Debussy, restent cachées jusqu’aux dernières mesures.
Passant aux tercets, on remarque que, contrairement à Debussy, Babx ne varie
pas beaucoup les dynamiques : quoiqu’il y ait de claires ondulations, il n’y
a pas de grands pleins et de grands déliés dans la forme d’ondes.
Toute ondulation dans la forme d’onde vient de la technique vocale
particulière que Babx utilise dans la chanson entière, qui consiste à faire
un crescendo et puis un diminuendo pour chaque syllabe accentuée. Après une
brève pause de 2.15 s, la chanson continue avec la répétition du premier
quatrain. Sans aucun intermède, Babx incorpore ces paroles répétées, de
telle façon que la chanson retourne à la case de départ. Malgré son
apparente fidélité à la versification, en entretenant la position de la
charnière, ces paroles « additionnelles » perturbent la
structure binaire du sonnet et, par le fait même, présentent une perspective
différente sur l’interaction des thèmes de l’amour, de la mort et du salut
qui sont au cœur du poème de Baudelaire.