Marie Delcourte-Debarre est docteure en histoire environnementale, membre associé du laboratoire CALHISTE — Université de Valenciennes (France). Ses travaux de recherche portent sur les interactions à travers le temps long, entre les hommes et les espaces forestiers du Nord de la France. Dans le cadre d'une démarche appliquée, ses recherches sont intégrées aux politiques environnementales actuelles.
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Appréhender l’évolution d’un territoire forestier, c’est croiser le temps et l’espace. C’est donner une dimension temporelle à un objet semi-naturel ou construit par l’homme et considérer que cet objet peut être spatialement en mouvement. Dans le cadre de la démarche de recherche appliquée dans lequel s’inscrit ce travail (politique de reboisement), il a été nécessaire de recourir à des outils particuliers et de rendre lisibles et utilisables les données anciennes.
La méthode SyMoGIH (Système modulaire de gestion de l'information historique) offre la possibilité de construire le discours à différentes échelles d’analyses (territoire, éco-paysage, lieu), tout en intégrant les disparités spatiales et temporelles qui composent chaque élément géographique de l’Avesnois. Par cette méthode, le discours historique est spatialisé tout en étant borné temporellement.
Introduit la méthode SyMoGIH (Système Modulaire de Gestion de l'Information Historique).
La Géographie n’est que l’Histoire dans l’espace, comme
l’Histoire n’est que la Géographie dans le temps
temporalisant
. L’historien
d’aujourd’hui qui s’intéresse à un objet d’étude traditionnellement
analysé par le géographe, comme la forêt, ne
peut qu’évoquer les conditions évolutives du milieu physique tout en
s’intéressant à l’action de l’homme dans le temps. Ce rapprochement entre les
sciences géographiques et les sciences historiques ainsi que l’étude
multiscalaire (temps de l’homme et temps de la nature) sont aujourd’hui bien
établis. Pour autant, parvenir à construire un discours historique cohérent
tout en intégrant l’emboîtement des échelles spatiales n’est pas aisé.
Comment parvenir à associer espace et temps, lieu et temps ? Tenter d’adjoindre temps et espace suppose une mise en perspective critique de sources différentes : les données écrites pour le temps et les données cartographiques pour l’espace. Ce croisement des sources de natures différentes, l’emboîtement des échelles temporelles et spatiales imposé par ce croisement, ne permettra de construire un discours historique pertinent sur la coévolution des relations Sociétés-Milieux, que par la mise en place d’un outil géo-historique efficient : le Système d’information géo-historique.
Nous présenterons d’abord le contexte d’étude, les spécificités du territoire
de l’Avesnois, les sources disponibles et les questions que soulève la mise en
place d’un système d’information géo-historique qui utilise les cartes
disponibles à partir du XVIIIe siècle, ainsi que
les données historiques remontant jusqu’au XIIIe
siècle pour la reconstitution des relations entre l’homme et la forêt. Nous
aborderons ensuite les apports et l’application de la méthode SyMoGIH à travers
deux exemples : le bois George et l’ensemble bois de Beaurieux et du Parc.
Enfin, nous présenterons les premiers résultats d’une restructuration des
données et d’une reformulation du discours d’analyse historique grâce à la
méthode SyMoGIH permettant d’interroger les cartes et les données historiques
disponibles afin d’étudier de manière fine l’évolution du boisement dans le
temps.
Les départements du Nord et du Pas-de-Calais disposent de l’un des taux de boisement les plus faibles de France, entre 8 et 10 % selon les indicateurs employés. Afin de remédier à cela, l’institution régionale a initié entre 2010 et 2015 une politique volontariste, le Plan forêt régional (PFR) dont l’objectif était de doubler la superficie boisée sur l’ensemble du territoire d’ici une vingtaine d’années, tout en améliorant la multifonctionnalité de la forêt. Pour être opérationnelle et efficace, cette politique de boisement requiert alors de dresser l’état passé et actuel des forêts de la région. Dans le cadre de ces politiques, les demandes en matière d’analyse historique multiséculaire sont importantes.
Un premier état des forêts anciennes a été réalisé sur le secteur de
l’Avesnois dans le cadre d’une thèse en histoire environnementale financée
en contrat Cifre par le conseil régional
L’Avesnois se situe au sud du département du Nord, à la frontière du département de l’Aisne et de la Belgique. Le bocage et la forêt ainsi que des reliquats de cloisons forestières, bordant les anciennes haies médiévales, forment les paysages les plus caractéristiques de ce territoire. Avec 30 745 ha de forêts, soit un taux de boisement de 19 %, l’Avesnois est la sous-région la plus boisée des départements du Nord et du Pas-de-Calais.
L’histoire environnementale se définit aujourd’hui comme l’étude dans le temps, des interactions des sociétés avec leurs milieux. L’un de ses objectifs majeurs est de permettre de situer les évolutions contemporaines, rapides et parfois complexes, dans un contexte historique dont le rôle explicatif est essentiel. Autrement dit, l’historien de l’environnement considère le paysage d’aujourd’hui comme un héritage des actions anthropiques passées.
Au regard des questionnements précédemment évoqués au croisement de recherches fondamentales et de recherches appliquées, l’historien de l’environnement, dans le cadre de ce travail, se devait de renouveler les manières d’écrire le discours historique. Inscription dans le temps long, imbrication des échelles spatio-temporelles, mise en œuvre de sources diversifiées – dans le temps et l’espace – sont rendus possibles grâce à de nouvelles méthodologies et concepts. L’outil le plus efficient pour l’historien et les gestionnaires forestiers actuels, qui permet de retracer les dynamiques spatio-temporelles, est le système d’information géo-historique (SIG).
Les chercheurs en sciences naturelles, en sciences humaines et sociales
Dans le domaine environnemental, les SIG historiques se sont également développés. Citons le projet GEORIA (base de données géoréférencées de données environnementales, sociales et sanitaires au Canada) porté par les Universités Laval et de Toronto, ou encore le GIS Research to Digitize Maps of Iowa (1832-1859) Vegetation, porté par l’Université de l’État de l’Iowa.
En France, quelques études sur les forêts anciennes ont été pionnières :
celles menées par Jean-Luc Dupouey et Daniel Vallauri sur la carte de
Cassini
Par ailleurs, le SIG s’applique aux différentes échelles spatiales
(territoire, massif forestier, canton forestier etc.), un travail sur les
lieux géographiques est alors primordial. Le logiciel SIG permet de
superposer des cartes anciennes ayant été établies à des échelles
différentes. Enfin, la cartographie en un temps donné, par l’emploi de la
méthode régressive, peut éclairer une discipline travaillant sur des
temporalités beaucoup plus longues que ceux des objets cartographiques.
Cependant, une remarque s’impose : lorsque la donnée archivistique a été
employée, elle s’est souvent avérée contemporaine aux données
cartographiques ; l’emboîtement de la donnée spatiale et de la donnée
attributaire issue de sources historiques ne pose alors aucune difficulté
méthodologique. L’emploi d’une donnée plus ancienne induit d’autres
problématiques. Dans le cas du projet SIG Avesnois, les données
cartographiques couvrent une courte période (1730-1866). Les données
historiques attributaires, quant à elles, issues des sources écrites,
offrent un recul temporel plus important (XIIe–XVIIIe siècles). L’imbrication des
géométries et des données historiques attributaires ne peut être aussi
facile que pour les projets précédemment exposés. L’enjeu de ce travail est
alors de projeter des données attributaires issues de sources historiques
dans un espace pour lequel nous ne disposons d’aucune donnée spatiale
contemporaine de ces données attributaires. La mise en place d’un SIG, avec
de telles problématiques, oblige l’historien à s’interroger sur la notion
habituellement étudiée par le géographe : le lieu. Au-delà de la simple
définition du lieu pour l’historien, viennent s’agréger d’autres
questionnements : le degré de pertinence de la localisation, les variations
de la dénomination à travers le temps, la nature du lieu, l’emboîtement des
échelles spatiales (province, circonscription administrative, massif
forestier) et temporelles issu de sources variées.
1500 documents issus d’archives autant publiques que privées ont été étudiés. Il s’agit majoritairement de comptabilités issues du domaine royal ou seigneurial, de correspondances ... Afin d’établir la pertinence de ces sources pour l’étude des dynamiques spatiales et temporelles des massifs forestiers de l’Avesnois, il est nécessaire d’en connaître les apports, mais aussi les limites. Ce corpus de sources d’archives apporte une meilleure connaissance de l’objet d’étude sur les points suivants :
grignotagesdes lisières forestières, etc.
Pour autant, ce corpus documentaire présente aussi ses limites. Le déséquilibre entre les séries entraîne assurément une disproportion entre la quantité d’informations provenant des organisations comtales et des institutions religieuses, biaisant en quelque sorte notre analyse : en effet, les massifs forestiers du comte de Hainaut et des seigneurs influents de ce territoire sont plus aisément appréhendés que ceux des propriétés ecclésiastiques.
Autre point cette fois sur la répartition temporelle des documents :
celle-ci fait entrevoir de grandes disparités entre les siècles : 0,5 % pour
le XIIIe siècle, 4,7 % pour le XIVe siècle, 18 % pour le XVe siècle, 23,7 % pour le XVIe siècle,
33,3 % pour le XVIIe siècle, 18,5 % pour le
XVIIIe siècle, 0,07 % pour le XIXe siècle, 1,3 % de documents non datés. Cette
prééminence du XVIIe siècle pourrait
Le contenu géographique de ces documents d’archives est un élément essentiel
à la compréhension de l’emboîtement des échelles spatio-temporelles. Les
XIIIe et XIVe
siècles, caractérisés par un nombre croissant de documents, connaissent une
évolution identique en ce qui concerne les mentions de lieux. Deux aspects
majeurs distinguent les XVe et XVIe siècles, qui offrent par ailleurs une quantité
non négligeable de documents.
exactitude des faitsde la part des administrateurs royaux imposée par la Chambre des Comptes de Lille.
Au XVIIe siècle, ce phénomène de précision de la
donnée se poursuit et s’accentue. Le nombre de lieux s’accroît (environ
soixante lieux) ; l’historien mène alors son analyse sur un espace
géographique mieux défini. Cette étude peut être conduite à une échelle
géographique plus fine en s’intéressant à la continuité ou discontinuité de
l’état boisé. Ces éléments géographiques issus des sources écrites, forment
des données complémentaires à la cartographie ancienne.
Afin de disposer d’un corpus cartographique cohérent, plusieurs critères de sélection de la donnée cartographique ont été retenus : la donnée doit être facile d’accès ; couvrir l’ensemble du territoire d’étude ; représenter les massifs (forêt, bois, haie, etc.), les micromassifs (bosquets, haies basses, vergers etc.) et les toponymes forestiers qui rappellent un ancien état boisé (par exemple : l’Épine, Bois Sarté, le défriché etc.) ou une proto-industrie (forge, verrerie, fourneau etc.) ; être facilement numérisable et géoréférençable.
Quatre cartographies ont donc été sélectionnées et ont subi des traitements
informatiques
bouquets, et n’ont pas de limites bien définies. Cette carte a été initialement digitalisée par l’équipe de Jean-Luc Dupouey et Daniel Vallauri
Pour chacune de ces quatre cartes, deux couches SIG ont été créées : l’une
pour les polygones forêts
, l’autre pour les toponymes
. La
superposition des quatre couches de forêts permet de visualiser l’agencement
spatial de ce territoire. Dans les couches SIG, chaque polygone
forêt
dispose d’un identifiant unique. Cet identifiant a été
reporté dans la base de données historique (les 15000 données issues des
sources écrites ont été organisées dans un tableur Excel) afin de faire le
lien entre la donnée cartographique et la donnée d’archives.
Pour autant, de nombreux questionnements sur ce dispositif de jointure entre données cartographiques et données écrites sont apparus : tant du point de vue de l’analyse spatiale, de la variabilité des échelles géographiques que de l’imbrication de l’épaisseur temporelle aux lieux.
entités décalées
En superposant les trois couches vectorisées, des décalages de plus ou
moins grande importance apparaissent entre ces couches. Ces
Dans un SIG, les données attributaires issues d’une base de données
peuvent être adjointes au polygone, dans notre cas au polygone
Si tel est le cas, ces entités décalées
sont-elles un frein à
l’analyse ? Pour illustrer, prenons le cas du massif forestier nommé
Le massif
entités décalées, entendons par là un lieu ayant des points de coordonnées et géométries juxtaposés entre les différentes sources cartographiques. Le massif initial sur Claude Masse se situe plus au sud ; sur Cassini, il est orienté différemment (nord, nord-est). Les formes semblent correspondre entre État-major et l’Occupation du sol, bien qu’il apparaisse une légère distorsion ; le massif sur la carte d’État-major étant légèrement plus au nord. Dans ce cas précis, comment attribuer les données historiques au lieu ? Doit-on superposer les couches et considérer comme noyau forestier ce qui est commun à Cassini, État-major et l’Occupation du sol ? Que faire dans ce cas de la géométrie présente dans les cartes de Claude Masse ? Parallèlement à cela se pose la question de la lisibilité des couches SIG. Superposer deux couches et en faire une analyse est aisé ; lorsqu’une troisième, voire une quatrième couche s’ajoutent aux deux premières, l’étude devient complexe car difficilement lisible.
Ces diverses limites de la méthode requièrent un remaniement méthodologique car il influence les analyses spatiales. En étudiant l'évolution d'un lieu entre les trois périodes formées par la donnée cartographique, le chercheur pourrait être amené à conclure qu’une dynamique de lisière apparaît entre ces trois pas de temps – le massif se déplaçant vers l'est, dans le cas du lieu
Une autre interrogation émerge concernant l’analyse des dynamiques spatiales et le suivi du boisement dans le temps. Prenons l’exemple des bois de Beaurieux et du Parc situés au nord-est de l‘Avesnois, à proximité de la frontière belge. Ces deux lieux connaissent une dynamique bien particulière tant du point de vue de leur dénomination que de leurs limites internes. Trois problèmes se posent alors : l’évolution de la dénomination d’un ou plusieurs lieux, la localisation et la dynamique spatiale de ce ou ces lieux.
Seul le corpus cartographique, même élargi aux cartes non géoréférencées, ne peut suffire à une analyse sans les données d‘archives. Ce constat est d’autant plus vrai quand il s’agit de mettre en évidence les évolutions concernant l’appellation des lieux.
Cette dernière est en effet très aléatoire d’une source à l’autre comme
le montre le cas des bois de Beaurieux et du Parc :
De plus, la géométrie globale
de ces massifs, issue de
la donnée cartographique, est quasiment identique sur l’ensemble des
cartes. Ce sont les limites internes
entre les deux bois qui
fluctuent énormément.
Bien évidemment, l’historien ne peut exclure les limites des sources cartographiques quant à l'appréciation des résultats. Une question méthodologique se pose toutefois : comment gérer à la fois cette fluctuation des limites internes et l’évolution du nom des lieux dans le temps ?
L’articulation entre la représentation spatiale des massifs forestiers en partant des cartes disponibles à partir du XVIII siècle et les données historiques les concernant, comportant un différentiel temporel qui peut être important, soulève des questions qui ne peuvent pas être traitées dans un SIG classique en associant directement géométries et données attributaires.
La méthode générique et collaborative mise au point par le pôle numérique du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) propose une articulation nouvelle entre ces deux dimensions.
Cette méthode permet de mettre en place un système d’information générique
et ouvert traitant l’information historique en prenant en considération à la
fois les dimensions temporelle et spatiale de cette information
Une plateforme a été mise en place au sein de laquelle on peut stocker, de
manière individuelle ou collective et de façon cumulative, des données
historiques structurées, des données spatiales, etc. Le chercheur saisit ses
données dans une interface web nommée BHP (Base d’Hébergement de Projets),
tout en se référant à une documentation commune à tous les participants au
projet qui le guide dans la création de ses objets et de ses informations
historiques. Cette documentation est accessible sur le site principal du projet
La dimension géographique a été intégrée dès les débuts du projet SyMoGIH
car la contextualisation spatiale joue un rôle capital pour l’interprétation
comme pour la représentation de l’information historique
La méthode SyMoGIH repose sur deux principes fondamentaux : l’atomisation de l’information et un effort d’objectivation de la production des données. Il s’agit de décomposer l’information historique en données primaires, c’est-à-dire d’identifier des unités de connaissance atomique auxquelles on associe tous les objets qu’elles relient, tout en spécifiant quel est le rôle de chaque objet. Chaque connaissance produite est authentifiée et dispose d’une source afin de favoriser le partage des données et de garantir leur traçabilité. Cette méthode permet de reconstituer l’environnement historique des objets concernés à partir d’informations cumulées au cours des dépouillements des sources archivistiques et de la documentation cartographique disponible. Comme les objets participent à de multiples unités de connaissance, celles-ci permettent de reconstituer de manière plus ou moins accomplie l'existence historique de chaque objet.
Dans le modèle SyMoGIH, tous les événements ou informations descriptives qui
portent sur des lieux, par exemple une forêt, sont traités en tant qu’unités
de connaissance. Les unités de connaissance peuvent être de deux types :
soit de type contenu
, dans le cas où l’historien souhaite retenir
le récit des événements tel qu’il se trouve dans la source étudiée, soit de
type information
, pour les connaissances produites par l’étude
critique d’une ou plusieurs sources.
SyMoGIH comprend des objets historiques regroupant une collection ou une classe d’individus (exemple : collection
abbaye de Liessies,
abbaye de Maroilles,
abbaye du Val de Monsetc.) qui présentent les mêmes propriétés et partagent la même
essence
En définitive, la méthode SyMoGIH permet de rendre compte des différentes
étapes du travail historique, du dépouillement de sources jusqu’à la
production de connaissances fondée sur un examen critique, en les stockant
comme tels
C’est au sein de ce système d’information que l’historien traite, à partir
de ses sources, ce qui relève classiquement du domaine attributaire du
lieu
. Ce dernier devient ainsi le point d’ancrage de toutes les
données (spatiales et attributaires) qui le concernent, tout en sachant que
pour identifier un lieu
, le chercheur ne peut se fier qu’à son
toponyme qui évolue au cours du temps ou à sa localisation prise en aparté,
mais qu’il doit faire converger toutes les informations historiques et
géographiques dont il dispose, issues de différentes époques et sources.
Trois éléments identifient le lieu nommé Named Place (NaPl) : son nom (le lieu peut être associé à un ou plusieurs noms -historique, actuel- dont l’un est obligatoirement qualifié de nom standard) ; son type unique (élément géographique naturel, surface d’infrastructure, surface de territoire etc.) ; sa classe (une ou plusieurs classes : bois, forêt, étang dans le cas d’un élément géographique naturel par exemple) et sa localisation (la localisation peut être renseignée sous une forme ponctuelle ou une emprise spatiale et associée à un degré d’incertitude). Ces quatre composants identifient le lieu de manière singulière ainsi qu’un identifiant unique alphanumérique (NaPl1, NaPl2, NaPl3 etc.).
Le named place (NaPl)
représente un lieu ayant une existence
historique. Il s’agit d’un objet abstrait, c’est-à-dire de la classe de
toutes les instanciations effectives que ce lieu
a connu au cours
de son histoire et qui peuvent varier dans leur forme. À chaque objet de
type lieu
seront associées toutes les connaissances issues des
sources et des cartes pour chaque époque qui le concernent, indépendamment
des formes que le lieu a effectivement eues au cours de son existence. Si
deux lieux, d’abord traités séparément, s’avèrent identiques, ils pourront
être fusionnés ; il sera alors possible d’associer les contenus
et
informations
qui les concernent respectivement.
Pour traiter les évolutions spatio-temporelles du lieu au cours de son
histoire, la méthode SyMoGIH introduit une deuxième entité, la forme
concrète du lieu
, appelée
Un lieu sera donc associé à une ou plusieurs formes concrètes que l’historien construit à partir de connaissances tirées des sources, écrites ou cartographiques, qui décrivent les contours du lieu à un moment précis du temps. Un événement historique comme un acte de déboisement ou un feu de forêt ravageant un quartier de forêt peut donner lieu à l’apparition d’une nouvelle forme concrète, munie d’un identifiant unique, indiquant que l’historien a identifié à cet instant un changement significatif concernant l’étendue spatiale ou les contours du lieu.
Quant aux géométries, elles n’interviennent qu’en dernier lieu en tant que
représentation des formes concrètes reconstituées grâce aux données
archivistiques et cartographiques. La forme concrète n’est pas forcément
associée à une géométrie, elle reconstitue virtuellement une évolution
spatiale qui sera ensuite matérialisée grâce à une géométrie en fonction des
connaissances disponibles portant sur la forme concrète. À défaut de
représentation cartographique concernant un lieu, sa géométrie peut être
construite artificiellement en fonction des données attributaires
disponibles. L’origine et les raisons du choix de la forme de toute
géométrie est ainsi documentée
Cette méthode propose une articulation plus développée que celle associant directement les géométries et les données attributaires, qui garantit plus de souplesse et permet de traiter les cas d’incertitude et de différentiel chronologique entre les données historiques et les représentations cartographiques disponibles.
Suivant la problématique d’emboîtement des échelles spatio-temporelles, clé de compréhension des dynamiques des espaces forestiers de l’Avesnois, deux éléments ont articulé le travail mené dans le cadre du projet SIG-Avesnois : la normalisation de l’entité lieu et celle des données historiques attributaires. S’agissant d’un SIG géo-historique, l’entité lieu se devait d’être structurée en premier lieu selon la sémantique SyMoGIH (nom, type, localisation, classe ; normalisation des métadonnées et géométries). En parallèle à cela, l’information historique a été standardisée, amenant à la création des Formes Concrètes des lieux.
Le nom et la localisation constituent la première phase d’identification
du lieu
. À cela s’ajoutent le type et la classe qui, dans la
sémantique SyMoGIH, correspondent à des objets abstraits. Les lieux ont
été typés selon quatre objets abstraits.
Éléments géographiques localisés relatifs au milieu naturel, au paysage. Exemple : forêt de Mormal.
Type d’objet géographique. Exemple : les Croisils.inhabited place
Surface terrestre couverte par des installations, des équipements permanents qui conditionnent le fonctionnement d’un organisme ou d’une entreprise, l’activité économique d’une région, d’un pays. Exemple : forge de Laudrissart.
Étendue de la surface terrestre, plus ou moins nettement délimitée, qui présente généralement une certaine unité, un caractère particulier, où est établie une collectivité humaine. Regroupe toutes les surfaces territoriales administratives, juridiques, ecclésiastiques ... définies par des frontières tracées par l’homme et relevant d’une autorité. Exemple : Hainaut.
Les lieux sont ainsi majoritairement typés par l’élément géographique naturel (65 %) viennent ensuite à part égale les types lieu habité et surface d’infrastructure. Les lieux, leur type, leur localisation ont été assemblés dans l’une des tables de la base de données géo-historiques, cette table sert de pivot avec les autres tables. En parallèle de ce travail d’implémentation des NaPl, les objets digitaux, c’est-à-dire les rasters et les vecteurs utilisés (Masse, Cassini, État-major et Occupation du sol), ont également été intégrés à la base de données.
Certains NaPl présents dans les sources écrites n’ont pu être localisés précisément à partir des sources cartographiques géoréférencées. Il s’agit :
micro-toponymesdont la source archivistique ou cartographique est non géoréférencée stipule que ce lieu est localisé à l’intérieur ou à proximité d’un autre lieu de type élément géographique Naturel – classe bois ou forêt.
Tous ces NaPl ont donc fait l’objet d’une localisation relative en fonction de l’information donnée par la source d’archive (exemple : en 1492,
Ce Type d’Information 140 contient un ensemble de rôles : typer
indique la position du lieu par rapport à un autre (à côté, à
l’intérieur, ou autre), être la direction
évoque l’orientation
du lieu à localisation par rapport au lieu repère (nord, sud, ouest
etc.), est mentionnée dans le type localisé
les informations
concernant la distance du lieu qui est localisé par rapport à celui qui localise
Le Type d’Information 140 (TyIn140) se compose dans ce cas d’étude de trois éléments (les types de rôle peuvent se modifier en fonction des besoins de chaque projet).
Type de rôleTyRo57 (identifiant unique de ce type de rôle) : rôle utilisé pour associer le lieu (NaPl ou ImCo) qui est localisé par rapport un autre lieu (NaPl ou ImCo) qui sert de référence (lieu qui est localisé).
Exemple : le parc du Quesnoy (lieu localisé) est inclus (inclusion
géographique) dans le territoire de la commune de Le Quesnoy(lieu qui
localise). Les lieux localisés par rapport à un autre disposent d’un
identifiant NaPl. Selon la sémantique SyMoGIH, un NaPl doit disposer
obligatoirement de coordonnées géographiques, d’une
Cette structuration des lieux et des sources historiques (archivistiques et cartographiques) engendre un procédé nouveau quant à l’analyse des emboîtements d’échelles spatio-temporelles.
En parallèle à cette structuration de la donnée lieu d’après la
sémantique SyMoGih, les données issues des archives écrites momentanément
placées dans un tableur Excel ont été restructurées et regroupées en
tables. Cette nouvelle structure du schéma SIG Avesnoisa été conçue pour
deux raisons majeures : créer des liens plus structurés entre les
différentes informations (lieu, acteur, SoCh, etc.) et faciliter le
requêtage des données, en intégrant les activités humaines (pâturage,
paisson, chasse etc.) dans une même table, nommée activité
(cf.
le modèle logique de données).
Ce schéma se compose :
notice(définition des objets) : type_source, faune_flore_notice, contexte_notice ;
associations: activite_faune_flore, imbrication_agent, propriete_acteur.
La table activite
rassemble les données activités
tels
que l’usage, exploitation, les délits, les industries. Afin de
différencier ce qui relève du droit d’usage, de l’exploitation ou encore
du délit, un identifiant dans la table type_activite
– en lien
direct avec la table activite
– - a été placé, dans la colonne
groupe
:
La table unite_de_connaissance
permet de gérer l’imbrication
entre un lieu et un bornage temporel, tout en sourçant l’imbrication.
Grâce à cette table, un lieu est toujours lié une source, en lien avec
une datation. À ce lieu seront rattachés, une ou plusieurs activités, un
ou plusieurs acteurs, en lien avec une datation ( annee_debut
,
annee_fin
). De l’information se trouvant dans
unite_de_connaissance sera rapportée dans d’autres tables telles que
imbrication_agent
, environnement
,
evenement
.
La forme concrète représente la reconstitution par le chercheur de la forme propre à un lieu, son étendue, ses contours, à un instant spécifique ou durant une période de temps donnée. Comme tout autre objet, la forme concrète est construite par l’historien, mais, à la différence du lieu qui ne dispose que d’une localisation générique, elle décrit la forme plus ou moins précise attribuée au lieu à une époque donnée. Un lieu sera donc associé à une ou plusieurs formes concrètes que l’historien construit à partir de connaissances tirées des sources, écrites ou cartographiques, qui décrivent les contours du lieu à un moment précis du temps.
La forme concrète n’est pas forcément associée à une géométrie ; elle reconstitue virtuellement une évolution spatiale qui sera ensuite matérialisée grâce à une géométrie en fonction des connaissances disponibles portant sur la forme concrète. À défaut de représentation cartographique concernant un lieu, sa géométrie peut être construite artificiellement en fonction des données attributaires disponibles comportant, par exemple, l’indication de la surface d’une forêt.
Ainsi, par géométrie
, il faut entendre les représentations
spatiales géoréférencées qui seront associées aux formes concrètes. Dans
le cas du projet, il s’agit principalement de polygones construits à
partir des indications contenues dans le système d’information
géo-historique. Pour le projet, les polygones sont issus de trois
processus de production :
Dans les deux premiers cas, les géométries peuvent être identifiées par
une source de manière individuelle ce qui permet au chercheur de
renseigner l’origine du tracé en plus des connaissances historiques qui
ont permis son existence et qui, pour leur part, sont stockées dans le
système d’information historique via des contenus
ou des
informations
. Pour les cas où la forme concrète est associée
à une géométrie, l’information historique est d’attribuée à un ou
plusieurs polygones qui sont le reflet à un instant T
de l’état
des connaissances sur l’étendue spatiale d’un espace forestier de
l’Avesnois. Pour les cas où cette connaissance est trop incertaine pour
être matérialisée en géométrie, les attributs portent sur le point de
localisation du named-place
.
Le polygone est produit sous une forme ovoïde autour de la localisation ponctuelle du lieu à partir d’une information historique mentionnant la superficie connue ou estimée de la forme du lieu. Le centroïde de cette forme sera celui présent sur État-major en premier lieu ou Claude Masse, si ce lieu n’est présent sur l’une de ces deux cartes dans ce cas, le centroïde sera celui de Cassini (en dernier recours).
La superficie présente dans la documentation écrite, est mentionnée en unité de superficie ancienne – arpent, bonnier, mencaudée, rasière. La difficulté première a été de convertir ces indications de superficie en unité de mesure actuelle. Si pour l’arpent forestier (100 perches de vingt-deux pieds) la conversion en hectare est bien connue (un arpent = 0,51 ha), la transformation en ha est plus délicate pour le bonnier, la mencaudée ou encore la rasière, puisque ces mesures varient dans le temps et dans l’espace.
Une fois cette superficie en hectare obtenue, une forme ovoïde ou ronde
correspondant à cette superficie a été créée autour du centroïde adéquat
(État-major le plus souvent). L’information historique de type superficie
ancienne a été traitée dans la BHP, par la création de Type d’Information
141 existence d’un objet
.
Il s’agit d’une information qui met en relation un objet, un NaPl par
exemple avec une information qui occasionnent son existence ou la fin de
son existence : exemple le début de l’existence d’un lieu
et de
sa forme concrète
peut être occasionné par un évènement
historique identique, le lieu
et la forme concrète
seront associés à la même information. Dans notre cas, l’information
TyIn141 permet de lier la forme concrète, la donnée superficie et la
source, par les types de rôle caractériser
et
concerner
: l’objet associé est caractérisé par une surface dont
l’unité de mesure est l’hectare. Cet objet associé surface concerne la
forme concrète CoFo. Cette information est bien évidemment identifiée
grâce à une source et datée.
Ainsi, l’exhaustivité des représentations cartographiques est relative à l’état des connaissances selon les périodes historiques et les zones géographiques, mais les attributs historiques sont au minimum localisés par le point de coordonnées déterminé pour le lieu évoqué à une période donnée.
Le bornage appliqué est alors celui de la première mention dans la documentation écrite à la date antérieure à la première mention de superficie ou à la première carte. S’il y a mention de superficie ancienne, cette dernière sera représentée par un ovoïde ; le bornage temporel sera celui de la date de la superficie ancienne à la date précédent la première cartographie. Enfin, lorsqu’il y a des géométries, une analyse spatiale doit être réalisée afin de déterminer si d’importantes modifications de forme sont apparues entre les cartes anciennes, le bornage temporel s’appliquera en fonction de ces changements.
L’exemple des bois de Beaurieux et du Parc évoqué précédemment est assez
significatif de la complexité de l’emboîtement des échelles. Ces deux
bois, situés au Nord-Est de l’Avesnoisconnaissent une dynamique bien
particulière qu’il a fallu intégrer aux CoFo. Précisons que sur ces deux
massifs, aucune documentation écrite n’a été trouvée pour la période
étudiée. Ces deux lieux forment un ensemble dont la forme concrète est
identique jusqu’en 1866 mais ce sont les limites internes
entre
ces deux lieux qui sont extrêmement mobiles à travers le temps. Étant
donné la prédominance (nombre de citations
du toponyme dans le
temps mais aussi superficie) du lieu bois de Beaurieux
à chaque
période (sauf pour Cassini), il a été décidé de faire porter la CoFo sur
le bois de Beaurieux, tout en gardant les deux NaPl. Afin de gérer la
dynamique des limites internes de ces lieux, des inclusions datées de
type TyIn140 de l’un vers l’autre et inversement ont été pensées :
Trois CoFo portant sur le bois de Beaurieux ont ainsi été conçues. Le
bornage temporel et les formes (utilisation des géométries) pourront être
amodiées en fonction de nouvelles données implémentées (sources
d’archives, cartographies, iconographies etc.) :
1730–1866 : prendre la géométrie
d’État-Major ; 1867–2008 : point ; 2009– : prendre la géométrie de l’Occupation du
sol.
Les résultats de ce travail sont issus d’un long travail d’amélioration
méthodologique, mais aussi de construction du procédé historique. Ce
cheminement, grâce à l’initiation à la sémantique SyMoGIH, a amené à une
restructuration des données (de la création des lieux
aux formes
concrètes
de ces lieux) et à une reformulation du discours d’analyse
historique reposant sur le mode de questionnements des données. Grâce à cela,
un changement de paradigme s’effectue : les sources historiques analysées
donnent forme aux géométries des massifs forestiers et permettent un réel suivi
du boisement dans le temps.
La mise en place d’une telle méthode, l’étude comparative des sources d’archives et des données cartographiques anciennes et actuelles, conduit à une meilleure connaissance de l’imbrication des échelles spatio-temporelles d’un territoire hérité, dont les disparités géographiques sont actuellement importantes (sol, végétation, climat). Il s’agit là d’un véritable outil de suivi du boisement, de la mise en perspective des relations homme-milieu, que les acteurs du Plan Forêt Régional pourront employer facilement – à condition de créer une interface de saisie et de visualisation des données plus ergonomique.
Par cette méthode, le discours historique est spatialisé tout en étant borné temporellement ; ce travail permet d’obtenir des résultats visualisables directement dans le logiciel SIG. La méthode employée offre la possibilité de construire le discours à différentes échelles d’analyses (territoire, écopaysage, lieu), tout en intégrant les disparités spatiales et temporelles qui composent chaque élément géographique de ce territoire.
Le projet SIG Avesnoistel qu’il est conçu actuellement présente l’avantage, pour les gestionnaires du monde forestier actuel, mais aussi pour les chercheurs, de considérer les forêts dans toute leur durée, leur profondeur historique et géographique, indépendamment de leurs seules représentations cartographiques. Ce projet est un outil performant et collaboratif (des données peuvent y être ajoutées à des bornages temporels et sur des territoires différents). Ce SIG bien que performant tant dans la structure que dans la gestion de l’information historique parfois incomplète, doit être amendé en certains points : intégration des boisements n’ayant pas de toponyme particulier, amélioration du modèle conceptuel de données.
Sans la contribution de Francesco Beretta (Historien, LARHRA UMR 5190, CNRS), de Claire-Charlotte Butez (Géomaticienne, LARHRA UMR 5190, CNRS), d’Adrien Carpentier (Géomaticien, Conseil Régional Nord Pas-de-Calais), et l’aide précieuse de Mesdames Corinne Beck (Professeure d’Histoire et d’Archéologie médiévales UVHC CALHISTE EA 4343) et Fanny Milbled (Directrice déléguée au Plan Forêt Régional, Conseil Régional Nord Pas-de-Calais), le projet SIG Avesnois n’aurait pu être conceptualisé.
Understanding the evolution of a forest territory requires taking both time and space into account. This means providing a temporal dimension to a semi-natural object and considering that it can spatially move. In the work frame of this applied research thesis work (Afforestation policy), it has been necessary to use specific tools and to convert ancient data to a readable useful format.
The SyMoGIH method (Système Modulaire de Gestion de l'Information Historique / Modular System for Historical Data Management) offers the possibility to work at different scale level (territory, landscape, place) using space and time data for each geographical elements of the Avesnois National Park. With this method, the historical analysis is spatially located at every period of time.
Introduces the SyMoGIH method (Système Modulaire de Gestion de l'Information Historique / Modular System for Historical Data Management).
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